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nécessité tout intellectuelle et toute morale il conclut à la nécessité de l’action, ce qui paraît logique et cependant est contraire aux faits les plus manifestes qui se passent en nous et aux données les plus certaines de la plus simple psychologie. Embarrassé de toutes parts, Vanini commence et finit par en appeler de sa raison troublée aux décisions de l’église[1]. On n’a donc après tout aucun reproche très sérieux à lui faire.

Il y a plus : au milieu de cette controverse ténébreuse, éclairée de loin en loin par la foi chrétienne, je trouve un argument qui brille parmi tous les autres comme une lumière admirable, et qui, si Vanini s’y était solidement attaché et s’il l’eût suivi jusqu’au bout, aurait pu lui découvrir toute la vérité et le conduire au système des grandes inductions que nous venons d’indiquer. Laissons-le parler lui-même[2] :

« Je dirai brièvement d’Aristote ce que j’en pense : il est ici en contradiction avec lui-même, car il prétend que Dieu agit nécessairement, et cependant, dans l’Éthique et ailleurs, il fait l’homme libre. Ces deux opinions répugnent absolument et sont en quelque sorte réciproquement impossibles, car une cause nécessaire ne peut produire des effets contingens, mais nécessaires ; de sorte que, si Dieu agit nécessairement, notre volonté n’est pas libre, ce que je prouve ainsi. J’adresse cette question à Aristote : Notre volonté peut-elle, oui ou non, prendre tel ou tel parti, sans que tel ou tel motif la détermine ? Si elle ne le peut, elle n’est pas libre, ce qui est contre Aristote lui-même ; si elle le peut, Dieu le peut aussi à plus forte raison ; donc Dieu peut produire le mouvement ou le monde sans aucun mouvement qui ait précédé. Ce qui a porté Aristote à soutenir que Dieu agit nécessairement, c’est qu’il ne peut comprendre qu’un mouvement se produise sans un mouvement antérieur. Mais ce principe est faux, si l’on admet la liberté humaine. Donc, si la volonté humaine est libre, Dieu n’agit pas nécessairement, comme réciproquement, si Dieu agit avec nécessité, la volonté n’est pas libre. Il est donc évident qu’Aristote se contredit lui-même quand il affirme que Dieu agit nécessairement, et qu’en même temps il reconnaît dans l’homme une volonté libre. »

Vanini termine son livre en le soumettant sans réserve au pape Paul V, qui, « assis au gouvernail de l’église comme un sage modérateur, retrace en lui l’image de toutes les vertus répandues sur les divers pontifes de tous les siècles[3]. » Enfin, il ne veut pas quitter cet amphithéâtre de l’éternelle Providence sans entonner un

  1. Amphith., p. 300.
  2. Ibid., ex. L et dernier, p. 332.
  3. Ibid., 334.