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« Les péchés dans le monde sont nécessaires : donc c’est à Dieu qu’il les faut rapporter. Je réponds que l’antécédent de cet argument est faux, qu’il est même contradictoire ; car qui dit péché dit liberté, c’est-à-dire le contraire de la nécessité… C’est ainsi que nous retournons contre nos adversaires leurs propres armes, les poignards de plomb (plumbeos pugiones) avec lesquels ils défendent leurs subtilités (suas ratiunculas).

« Les stoïciens[1] se sont trompés du tout au tout, lorsqu’admettant la divine Providence, ils prétendent que Dieu gouverne l’univers et l’humanité, non d’après sa volonté, mais selon la nécessité… Aristote aussi a enseigné que Dieu agit nécessairement, sur ce motif que, si on suppose Dieu libre dans la formation du monde, il faut supposer qu’il était avant de faire le monde, et qu’ainsi cet acte a été un changement en lui, tandis que l’essence de Dieu est l’immutabilité. »

Sur ce redoutable problème de la création, Vanini chancelle, il est vrai, mais comme tant d’autres. Il n’a pas connu en quoi consiste la liberté de Dieu dans la création, puisqu’il nie que de deux choses différentes, Dieu ait pu faire l’une ou l’autre dans un seul et même instant, ce qui est absurde ; car cette puissance qu’il refuse à Dieu, il aurait pu la trouver dans l’homme. En effet, on ne saurait trop le redire[2], ce qui constitue expressément notre libre arbitre, c’est que, dans le moment où nous nous décidons à faire telle ou telle chose, nous avons la conscience que nous pouvons faire le contraire, et que, si nous continuons l’action commencée, nous la pouvons suspendre, et réciproquement. Cette puissance qui se résout dans un sens, pouvant se résoudre dans un autre, est proprement la volonté libre. L’intelligence n’est pas libre, parce qu’il n’est pas en son pouvoir de juger mauvais ce qui est et lui paraît bon, ni bon ce qui est et lui paraît mauvais, et c’est là en quoi l’intelligence diffère essentiellement de la volonté ; mais quand l’intelligence, l’entendement, la raison, en un mot la faculté de connaître, a reconnu et prononcé qu’une chose est bonne ou mauvaise à faire ou à ne pas faire, si la volonté, pour s’accorder avec la raison qui est sa loi, se décide pour ce qui est ou lui paraît bon, en se décidant ainsi, elle a la conscience de pouvoir se décider autrement, et de ne faire ce qu’elle fait que

  1. Amphit., ex. XLVIII, p. 315.
  2. Voyez l’analyse complète que nous avons donnée du libre arbitre dans divers endroits de nos ouvrages, et particulièrement dans l’examen critique de l’Essai sur l’Entendement humain, cours de 1829, t. II.