Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/686

Cette page a été validée par deux contributeurs.
680
REVUE DES DEUX MONDES.

déployé pour le convertir, leurs avertissemens fraternels, et l’impiété obstinée dont il avait fait preuve. Ensuite il fut dégradé, excommunié et livré au magistrat séculier, avec prière toutefois qu’on le punît avec clémence et sans effusion de sang. À tout cela Bruno ne répondit que ces paroles de menace : « La sentence que vous portez vous trouble peut-être en ce moment plus que moi. » Les gardes du gouverneur le menèrent alors en prison : là, on s’efforça encore de lui faire abjurer ses erreurs. Ce fut en vain. Aujourd’hui donc, on l’a conduit au bûcher. Comme on lui montrait l’image du Sauveur crucifié, il l’a repoussée avec dédain et d’un air farouche. Le malheureux est mort au milieu des flammes, et je pense qu’il sera allé raconter, dans ces autres mondes qu’il avait imaginés[1], comment les Romains ont coutume de traiter les impies et les blasphémateurs. Voilà, mon cher ami, de quelle manière on procède chez nous contre les hommes, ou plutôt contre les monstres de cette espèce. ........

« Rome, le 17 février 1600. »

Campanella, dominicain comme Bruno et novateur comme lui, est un esprit d’une autre trempe. Il a déjà plus de raison et de lumières. Tout aussi ardent que Bruno contre Aristote, son platonisme est plus réfléchi, et la réforme qu’il entreprend est à la fois plus sobre et plus vaste. Elle mérite encore aujourd’hui d’être étudiée. Plein d’enthousiasme pour le bien, il combattit les doctrines morales et politiques de Machiavel ; du fond de sa prison, il défendit le système de Copernic et fit une apologie de Galilée pendant le procès que faisait à celui-ci l’inquisition : victime héroïque, écrivant en faveur d’une autre victime dans l’intervalle de deux tortures ! On a de lui un très bon livre contre l’athéisme. Sa pensée est toujours chrétienne, et, loin d’attaquer l’église, il la glorifie partout. Mais il paraît qu’à force de lire Platon et saint Thomas, il y puisa une telle horreur de la tyrannie et une telle passion pour un gouvernement fondé sur l’esprit et sur la vertu, qu’il rêva de délivrer son pays du despotisme espagnol, et trama dans les couvens et dans les châteaux de la Calabre une conspiration de moines et de gentilshommes qui, n’ayant pas réussi, le plongea dans un abîme d’infortunes. De profondes ténèbres couvrent encore toute cette affaire. Le dernier historien de Campanella, M. Baldacchini de Naples[2], a en vain cherché dans toutes les archives le procès de son célèbre compatriote ; tout a disparu, et nous en sommes réduits au témoignage de ses ennemis.

  1. Atroce allusion aux mondes innombrables et à l’univers infini de Bruno.
  2. Vita e Filosofia di Tommaso Campanella, da Michele Baldacchini, in-8o ; Napoli, 1840 et 1843.