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REVUE. — CHRONIQUE.

Les évènemens de la Catalogne et de l’Aragon ont dû dessiller les yeux de quiconque a conservé en Espagne quelque peu de raison et quelques sentimens honnêtes. L’isolement où le pays a laissé ces bandes de frénétiques prouve aussi que leur drapeau n’est pas le drapeau national. Les rebelles avaient affaire à un gouvernement provisoire, faible, incertain de lui-même ; ils n’ont pu néanmoins le détruire. Leur exemple, leurs succès momentanés, n’ont séduit personne. Ils se sont trouvés renfermés par la force des choses comme dans un cercle de fer ; ils ont laissé au gouvernement tout le temps qui lui était nécessaire pour réunir ses forces, pour organiser la résistance. La révolte ne succombe pas sous un coup d’éclat, elle meurt d’épuisement et d’impuissance. C’est alors, et ce n’est qu’alors que l’ordre public peut compter sur l’avenir. Un autre fait vient de prouver que la faction anarchiste est aux abois. Ce fait, c’est l’assassinat qu’on vient de tenter sur Narvaez : c’est l’histoire de toutes les factions qui n’ont d’autre principe, d’autre but que l’anarchie. Après l’insurrection, l’assassinat. C’est par l’assassinat qu’elles achèvent de se démasquer et de se perdre, car ce jour-là le pays les prend en horreur ; elles ont profondément blessé la conscience publique : plus de doute, plus de prestiges, les formes et les apparences de la guerre ne sont plus là pour faire illusion aux esprits et jeter le doute dans les consciences. Ceux qui, dans un moment d’exaltation, d’égarement, acceptent le rôle et le nom de combattans, fût-ce même contre les lois de leur pays, ne veulent pas du nom d’assassins. Ne calomnions pas la nature humaine : l’assassinat, surtout lorsqu’il n’est pas revêtu des formes légales, n’est jamais résolu que par un petit nombre d’hommes. Il est le fait de quelques individus, il n’est pas le fait d’un parti, du moins d’un parti nombreux. Les assassins s’isolent, leurs amis eux-mêmes les abandonnent ; non-seulement ils ne veulent plus être leurs alliés, ils ne veulent pas même l’avoir été.

Les affaires d’Orient paraissent devoir présenter sous peu de nouvelles difficultés et de graves complications. Sans se manifester encore par des faits considérables, éclatans, la décadence progressive de la Turquie se révèle par des signes non équivoques. Le gouvernement est sans prévoyance et sans force : il n’est plus occupé qu’à réprimer tardivement, honteusement, les désordres qu’il est hors d’état de prévenir. Comment en serait-il autrement ? Quelle force, quelle dignité peut avoir un gouvernement qu’hier encore la Russie foulait, pour ainsi dire, aux pieds dans les affaires de la Serbie ? Les Turc, à la fois orgueilleux et barbares, s’irritent d’une faiblesse, d’une décadence qu’ils ne peuvent pas ne pas apercevoir, mais dont ils sont loin de comprendre les causes. Ils l’attribuent au contact de la Porte avec les puissances chrétiennes. Ce qui est une nécessité, et ce qui leur serait un moyen de salut, s’ils pouvaient en profiter, ne leur paraît qu’une faute dont s’indigne leur brutale arrogance. De là ces insultes aux pavillons chrétiens, de là ces odieuses et sanglantes exécutions qu’impose au pouvoir une intolérance qui n’est plus de notre siècle, même en Turquie. La Porte finira par lasser la