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tère de coalition composé d’hommes nouveaux. Aucun d’eux n’ayant encore de titre reconnu et incontestable à la première place, chacun rencontre des amours-propres prêts à se révolter, des chefs dont l’armée partage et irrite les passions. C’est un camp féodal : on croyait aujourd’hui marcher demain tous ensemble à l’ennemi ; demain chaque bannière reprend le chemin de son manoir, heureux encore si les confédérés ne tournent pas leurs armes les uns contre les autres.

Ces observations ont peut-être échappé à M. Olozaga dans le moment décisif. Ambassadeur en France, investi de hautes fonctions dans la maison de la reine, peut-être a-t-il cru et laissé trop entendre que sa place était marquée, et qu’il ne pouvait en exister une autre au même niveau.

Quoi qu’il en soit, toujours est-il que M. Cortina n’a point accepté la situation quelque peu secondaire que M. Olozaga paraissait lui laisser. Il a été franc et sincère, il n’a pas su être généreux dans l’intérêt de son pays. Avocat de renom et de grande clientelle, M. Cortina n’a pas hésité. Il a préféré le gouvernement de l’opposition, qui lui laisse son cabinet d’avocat, au gouvernement du pays, qui le lui enlevait sans lui donner ni une pleine satisfaction d’amour-propre ni une garantie de durée. Une fois sa résolution prise, nul n’a pu certes l’accuser de duplicité. Il a brusquement, nettement changé de situation et de langage. Il est rentré dans son camp particulier, et il n’est pas besoin d’ajouter qu’il y a ramené la plupart de ses amis. C’est là ce qui rend la position difficile pour tout le monde, car M. Olozaga appartenait au même camp. Il y trouvait, lui aussi, son importance politique et ses forces. Tout naturellement leurs amis communs se sont divisés comme les chefs ; mais tout naturellement encore les tendances des progressistes étant vers l’opposition, le gros bataillon est probablement resté avec M. Cortina, et M. Olozaga ne peut amener au parti gouvernemental que quelques hommes fatigués du rôle d’opposans ou dévoués à sa personne. S’il en est ainsi, la situation de M. Olozaga lui-même se trouverait profondément altérée. N’amenant aux modérés qu’un faible renfort, il n’est plus le maître de la position ; il doit recevoir plus qu’il ne donne. Au lieu d’être le chef vrai et reconnu du parti gouvernemental, il n’en serait plus que l’homme d’affaires et l’instrument.

C’est dire que la situation politique à Madrid est loin d’être simple et facile. Elle amènera peut-être plus d’une péripétie. Nous croyons néanmoins que tout s’y passera dans les limites de la légalité. Nous persistons à penser que l’Espagne touche aux derniers jours de sa longue et sanglante anarchie. Le vote sur la question de la majorité de la reine a suffisamment démontré que les partis ayant quelque force et quelque avenir ne veulent désormais se rencontrer et se mesurer que sur le terrain de la monarchie constitutionnelle et par des débats parlementaires. Les partis ont une sagacité instinctive qui ne les trompe guère. Ils sentent que le pays est fatigué de guerre civile, et que, loin de leur prêter aide et appui, il prendrait en horreur les auteurs de nouvelles luttes et de nouveaux désordres.