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métamorphosé en une vaste tente ornée de guirlandes de fleurs, éclairée par des milliers de bougies fichées fort ingénieusement dans des faisceaux de baïonnettes, dont l’acier poli répercutait admirablement la lumière. Un théâtre avait été dressé au pied du grand mât ; l’orchestre était à son poste ; des fauteuils attendaient les spectateurs. Jamais à l’Opéra changement à vue n’a été mieux exécuté ; l’amiral avait à son bord plus de neuf cents machinistes les plus agiles du monde. La fête commença par une de ces représentations nautiques à l’aide desquelles, à bord des vaisseaux, les matelots essaient tous les dimanches de conjurer l’ennui des longues traversées. Un vaudeville fut joué avec beaucoup de verve, les costumes des acteurs provoquèrent de fous rires ; l’ingénue de la pièce, jeune fille blonde vêtue de blanc, gantée de jaune, représentée par un gabier de la grande hune, rougissait d’une façon tout-à-fait divertissante des complimens un peu crus que lui détachait à brûle-pourpoint un timonier métamorphosé en dandy.

Après le spectacle, qui se termina au milieu d’applaudissemens unanimes, les officiers furent présentés à leurs majestés, et le ministre de France m’offrit de me faire partager cet honneur. Tout en répondant de mon mieux aux questions que voulut bien m’adresser le jeune monarque, je l’examinai avec soin : le roi Othon a maintenant vingt-huit ans ; il est brun, bien fait, de haute taille ; vu de loin et à cheval, il semble d’assez belle tournure, mais de près sa physionomie n’a rien d’agréable : il a le visage aplati, le teint jaune ; ses lèvres sont épaisses, ses cheveux crépus, ses moustaches peu fournies. Il semble mal à l’aise dans ses habits ; ses mouvemens trahissent une gêne continuelle, et l’on souffre pour lui de sa timidité. Il portait une veste de drap bleu de ciel brodée d’argent et un fez à houppe bleue ; une fustanelle blanche, des guêtres pareilles à la veste, et des babouches rouges complétaient cet élégant costume. La reine parle le français avec beaucoup de facilité. Elle me demanda comment j’avais trouvé Athènes, et comme je balbutiais je ne sais quelle réponse mensongère, elle m’interrompit en me disant que nécessairement ma première impression avait dû être un peu de surprise. « Athènes est un nom qui parle trop à l’imagination, pour qu’un Français surtout, dit-elle en souriant, n’éprouve pas en arrivant un mécompte ; mais la ville s’agrandit tous les jours, et si vous revenez dans quelques années, ajouta-t-elle avec beaucoup de grace, vous la trouverez fort embellie. » La reine est charmante ; elle paraît avoir vingt-quatre ans : sa taille est svelte, élancée ; sa physionomie, vive, spirituelle ; ajoutez