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Le plus grand désordre régnait aussi dans les provinces. Les troupes bavaroises venues avec le roi avaient été cantonnées dans différentes garnisons. Les Grecs s’accommodaient peu de l’outrecuidance de ces protecteurs étrangers : ils les ridiculisèrent ; les Bavarois s’emportèrent, des disputes s’ensuivirent. Sentant bouillonner dans leurs veines leur sang de pallicare, les Grecs se souvinrent qu’ils avaient été les compagnons de Canaris, et ils armèrent leurs longs pistolets à crosse d’argent. Des rixes continuelles eurent lieu entre le peuple et l’armée ; Maïna surtout fut souvent le théâtre de ces luttes sanglantes, dans lesquelles les Bavarois, peu habitués à faire dans les montagnes une guerre de partisans, eurent presque toujours le dessous. Ici se place un fait qui paraîtra incroyable, et dont cependant l’authenticité ne peut être mise en doute. Dans ces rencontres, les Grecs firent prisonniers un assez grand nombre de soldats du roi ; il les vendirent au gouvernement après avoir fixé leur rançon. Un soldat était coté deux sous ; un officier valait 50 centimes. Les pallicares, moyennant le prix convenu, se cédaient entre eux leurs captifs, et des spéculateurs s’étaient établis qui faisaient ce singulier commerce.

Avant le retour du roi en Grèce, M. d’Armansperg, pour avoir un titre à son indulgence, s’était hâté d’instituer le conseil d’état et de fonder l’université ; mais on savait que les 60 millions avaient à peine suffi aux folles dépenses du gouvernement, et l’on calculait que la Grèce, pauvre comme aux mauvais jours, se trouvait avoir contracté, sans qu’il en fût résulté aucun bien pour elle, une dette énorme dont elle devait payer les intérêts, tandis que la Bavière en avait absorbé le capital. Le mécontentement allait croissant ; bientôt une révolution devint imminente, et si elle n’éclata pas dès cette époque, c’est qu’on espérait encore que le roi, à son arrivée, rendrait justice à chacun. Lorsque fut signalée la frégate qui ramenait le souverain et la jeune reine, la population exaspérée se porta en foule au Pirée. Le ministre effrayé essayait en vain de faire bonne contenance. Après avoir ordonné, pour fêter le retour du roi, des réjouissances publiques, il s’embarqua sur un bateau à vapeur et alla rejoindre en mer le vaisseau royal. Le peuple, s’agitant en tumulte sur la route d’Athènes, attendit avec anxiété le résultat d’une entrevue qui devait être décisive. Ce résultat ne fut connu que vers une heure du matin. On apprit alors que l’archi-chancelier était renvoyé, et que le roi nommait M. de Rhudart président des ministres. Des cris de joie unanimes saluèrent la décision royale ; le lendemain,