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ATHÈNES ET LA RÉVOLUTION GRECQUE.

modéré pour le vin de Santorin. Les Hellènes se demandèrent s’ils ne s’étaient affranchis du joug ottoman que pour tomber sous une autre domination. En 1835, le roi devint majeur, le conseil de régence fut dissous et l’on nomma M. d’Armansperg archi-chancelier. Ce changement de titre ne diminua en rien l’étendue de ses pouvoirs ; bientôt il put agir avec une liberté plus grande encore. Le jeune roi, jusqu’à cette époque, s’était peu occupé des affaires ; mais sa présence seule imposait au ministère une sorte de retenue, du moins apparente. En 1837, il partit pour l’Allemagne, où il devait épouser la princesse Amèlie d’Oldenbourg ; l’archi-chancelier resta souverain absolu à Athènes. Le désordre fut bientôt à son comble : des exactions de tout genre pesèrent sur la nation mécontente ; toutes les places avaient été données, on en fonda de nouvelles. Peu importait que ces places fussent inutiles : c’était pour le fonctionnaire qu’on les instituait, et non dans l’intérêt du pays. Un Bavarois reçut de fort beaux appointemens avec le titre de garde-général des eaux et forêts à Syra, et il alla résider sur ce rocher, qui ne produit pas un arbre, pas un buisson, et où l’eau se vend un sou le verre. À l’exemple des chefs, les subordonnés voulurent faire fortune, chacun prétendit avoir sa part des millions que la Grèce avait empruntés ; le trésor fut mis au pillage, et nous renonçons à raconter tous les faits qui attestent ces dilapidations[1].

  1. Ces faits sont assez nombreux pour qu’on ait pu, en les recueillant, former un gros volume qui se publie à Athènes en ce moment. Nous n’en rapporterons que deux que nous retrouvons dans notre mémoire. — L’eau manque au Pirée. Un Bavarois propose d’y creuser un puits artésien ; on lui avance une somme considérable, et le gouvernement paie d’avance une partie du salaire des ouvriers. L’entrepreneur fait faire un premier trou ; puis, le trouvant trop étroit, il commence un second forage, sans obtenir un meilleur résultat. Alors il déclare qu’en Grèce il n’y a pas d’eau sous la terre, et repart pour la Bavière. Les Grecs soldèrent encore ses frais de voyage. — Le gouvernement avait eu l’idée de faire bâtir à Athènes une église gothique (on construisait bien des temples grecs à Munich). Un jeune Bavarois fut chargé, moyennant salaire, d’aller étudier pendant deux ans toutes les cathédrales gothiques de l’Allemagne. Comme au bout de dix-huit mois on n’avait pas de nouvelles de l’architecte, on s’enquit de lui. Il répondit qu’il ne pouvait plus s’occuper de sa mission ni retourner à Athènes, attendu que dans ses voyages il s’était marié. La Grèce se trouva avoir payé sa dot. — Assurément ces faits, et mille autres semblables que nous pourrions citer, ne sont pas d’une grande importance ; mais ils étaient connus de tout le monde, et le peuple, en voyant des personnages secondaires agir si fort à leur aise, devinait quelles devaient être les déprédations de ceux qui étaient assez haut placés pour faire les choses en grand et sans être vus.