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LA SARDAIGNE.

grand nombre d’autres fiefs contrebalança l’influence des anciens feudataires. Il ne suffit pas aux Aragonais d’opposer le cap septentrional au cap méridional, les petits seigneurs aux grands vassaux ; ils créèrent une bourgeoisie pour en faire le contrepoids de la noblesse. En 1354, diverses révoltes ayant appelé dans l’île don Pèdre le Cérémonieux, ce prince convoqua à Cagliari la première assemblée nationale, où les députés des villes furent admis sous la dénomination d’ordre royal. Ainsi, comme les rois de France, comme les empereurs d’Allemagne, les rois d’Aragon s’appuyaient sur les habitans des villes attachées à la royauté, et leur sacrifiaient les habitans des campagnes féodales. Prodigues d’exemptions et de priviléges, ils achetaient l’alliance des bourgeois enrichis à force de concessions qui grevaient lourdement l’avenir. Cette déplorable politique eut un tel succès, dit M. de la Marmora, que « sous la domination espagnole un écrivain appartenant à un cap regardait comme une obligation de ne parler, dans son ouvrage, des citoyens de l’autre cap qu’en termes de mépris. » Cette rivalité n’est pas même complètement éteinte de nos jours. Les Sardes des deux caps éprouvent encore les uns pour les autres cette vague antipathie qui sépare les Anglais et les Irlandais.

Entre tous ces juges qui pesèrent sur la Sardaigne pendant le moyen-âge, il faut distinguer une femme pleine d’énergie, Éléonore d’Arborée, qui fit aux Aragonais une guerre active, et légua à ses sujets une charte adoptée dans toute l’île, en 1421, par l’ordre du roi don Alphonse. Ce fut sous le règne de ce dernier prince que Pierre de Tiniers de la maison de Narbonne, fit aux rois d’Aragon l’entière cession du judicat d’Arborée. La domination aragonaise fut alors généralement reconnue dans l’île ; mais déjà tout vestige de prospérité avait disparu sous le piétinement des hommes d’armes.

Au commencement du XVIe siècle, l’alliance de l’Aragon et de la Castille ayant constitué la monarchie espagnole, la Sardaigne se trouva incorporée à cette dernière puissance. Elle fut livrée alors à l’insouciante administration d’un vice-roi, et partagea cette langueur commune à tous les états du vaste empire dont elle faisait partie. Les troubles intérieurs s’étaient apaisés, la guerre étrangère n’approchait plus de ses bords, mais le sol appauvri restait en friche ; des institutions, des idées nouvelles, changeaient la face du monde sans qu’elle en soupçonnât rien. L’Espagne se dressait entre elle et le soleil. En 1708, la guerre de la succession fit passer la Sardaigne sous la domination de la maison d’Autriche ; quelques années plus