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pas de route ; le transport des marchandises doit donc se faire exclusivement par mer, et il est considérable, car cette partie de la péninsule est beaucoup plus productive que l’autre. Dans des temps moins tranquilles, il y avait des patamars armés en course qui sortaient des anses à la rencontre des navires européens. Gibbet Island, l’île de la Potence, dans la rade de Bombay, atteste la propension des peuples du Deccan à écumer la mer sur leurs côtes ; mais, depuis l’invention des bateaux à vapeur, la piraterie est devenue un métier aussi précaire que dangereux, et les Détroits eux-mêmes commencent à perdre leur ancienne réputation, ou plutôt à en acquérir une meilleure. D’ailleurs, les Hindous, un peu pillards par caractère, ont mille moyens de voler en détail[1]. Le bateau de pêche, le canot chargé de fruits accostant au passage le navire de long cours, renferment presque toujours d’adroits industriels qui se font un devoir de serrer les objets oubliés sur le pont, tels que le plomb de sonde, les outils du charpentier, le couteau du cook. Ce vice tient en partie à la modicité du salaire, calculé moins sur le travail que sur le peu de besoins des hommes de peine.

Le patamar, par sa force et sa solidité, est capable de résister aux coups de vent de la mousson du sud-ouest ; mais, à cette époque de pluies désordonnées et d’orages, on trouverait le long de la rivière de Baypour (ce port que Tippou avait nommé Sulthanapatnam, la ville du sultan), hallés sur la plage, d’autres caboteurs d’un rang secondaire, les panyani-mantché, bateaux de Panyani. Comme l’indique leur dénomination, ils appartiennent à cet ancien repaire de pirates dont on ne parle guère aujourd’hui, et ils sont montés par des mopilaïs soumis à l’autorité spirituelle du tangoul, ou grand prêtre, résidant depuis des siècles dans cette même ville. Leur navigation se borne à porter d’un point à un autre, aux environs de leur baie, les produits variés que l’on tire du cocotier et de son fruit, l’eau-de-vie obtenue du palmier par la distillation, ainsi que les larges feuilles à éventail dont les pêcheurs et les pauvres paysans couvrent leurs huttes. Ces mêmes feuilles sont, pour les doctes brahmanes et les marchands, le papyrus sur lequel ils écrivent au poinçon, ceux-ci leurs ventes et achats, ceux-là leurs longs poèmes, leurs commen-

  1. On vient de découvrir à Bombay une association de voleurs qui rapportait, année commune, aux quatre-vingt-dix intéressés, la somme nette de 80,000 livres sterling, ainsi que le prouvent les registres saisis, le 21 juillet dernier, chez les chefs de la bande.