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LA MARINE DES ARABES ET DES HINDOUS.

assez solidement faits pour résister à une attaque, sont armés de deux canons, car les parages qu’ils fréquentent n’ont pas toujours été sûrs, et ces bouches à feu sont tout ce que l’on peut trouver d’à demi moderne dans la construction du baggerow, qui, selon l’opinion générale, n’a pas varié depuis les temps d’Alexandre. En ceci, ces bâtimens ressembleraient aux jonques chinoises, qui n’ont pas subi la plus légère modification depuis plus de deux mille ans. On peut reconnaître là ces barques si grandes manœuvrées par des Phéniciens, des Grecs, des gens de l’Asie-Mineure, sur lesquelles Alexandre fit embarquer tant de chevaux. La première fois que je vis un de ces navires du Cutch, je me trouvais à bord d’un magnifique steamer ; la lourde masse cinglait sur nous de toute la puissance de sa gigantesque voile, l’antenne frémissait en se courbant sur la vague ; un groupe de matelots en turbans, appuyés sur le couronnement grossier de la poupe, considéraient avec une indifférence tout orientale notre machine battant la mesure avec son balancier, nos roues impétueuses mordant la lame. Pour moi, loin de rire de la vieille barque, je songeais qu’au temps où on lança pour la première fois sur la mer une pareille maison flottante, l’Angleterre n’avait de nom dans aucune langue civilisée. Comme tous les navires de ces contrées, sortis des ports de l’Inde, ceux-ci ont sur leurs membrures une épaisseur de planches en bois de teak. On sait que ce bois, pour ainsi dire inaltérable, résiste près d’un siècle à l’action des eaux ; on le coupe sur la côte occidentale de la presqu’île, particulièrement dans les forêts qui couronnent les collines et les petites montagnes des états du radja de Travancore ; mais on a si largement dépeuplé ces belles forêts, que le gouvernement britannique a dû songer, il y a quelques années, à ménager ces arbres précieux. Bombay est le grand entrepôt de tout le commerce de l’Inde occidentale, de l’Arabie, du golfe Persique, et continuera de l’être jusqu’à ce qu’une ville européenne s’élève aux bouches de l’Indus, ce qui est difficile eu égard aux localités ou à celles de l’Euphrate[1]. Aussi, la quantité de navires arabes, grands et petits, de caboteurs

  1. En 1839, à l’époque où l’Angleterre défendait avec tant de chaleur l’intégrité du territoire ottoman, un navire (il se nommait Urania) fut expédié de Londres avec deux bateaux à vapeur démontés, du charbon, des ouvriers. Le capitaine, porteur de dépêches qu’il ne devait décacheter qu’après avoir relâché à Rio-de-Janeiro, les ouvrit en quittant la côte du Brésil, et apprit qu’il avait ordre de porter ces deux steamers à Bassorah. Ainsi, sans en prévenir la Porte, les Anglais allaient