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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

naturelle aux princes de défendre ce que Dieu a fait naître sous l’abri de leur puissance…

« Je ne suis point prophète, ajoute Richelieu, mais je crois pouvoir rassurer votre majesté que ne perdant point de temps en exécutant ce dessein, vous aurez fait lever le siége de Casal et donné la paix à l’Italie dans le mois de mai ; et revenant avec votre armée dans le Languedoc, vous réduirez tout sous votre obéissance, et donnerez la paix à vos sujets dans le mois de juillet, de sorte que votre majesté pourra, comme je l’espère, retourner victorieuse à Paris au mois d’août[1]. »

Quelques jours après avoir écouté cet exposé, Louis XIII partait pour l’Italie, et, couvert par la présence du roi, Richelieu commandait en chef une armée de trente mille hommes, destinée à franchir les Alpes et à secourir Casal. Conformément à la vieille politique de sa maison, le duc de Savoie entendait tirer bon parti du différend survenu entre la maison d’Autriche et la France à l’occasion de la succession du duché de Mantoue : il voulait se faire attribuer le Montferrat, prétention que l’Espagne était disposée à accueillir, sous condition que ce prince fermerait les passages à l’armée française. Une négociation avec la cour de Turin n’ayant abouti qu’à des résultats équivoques, le ministre-général donna l’ordre de trancher la difficulté par la force, et la furie française emporta le Pas-de-Suze. Pendant que l’Europe croyait Louis XIII retenu au pied des Alpes, ce prince avait forcé les lignes piémontaises, délivré Casal, sauvé le duc de Mantoue, et, selon le programme de son ministre, il revenait avec une armée victorieuse se jeter sur le Vivarais pour en finir avec le parti réformé. En suivant, dans le Journal de Bassompierre, ces marches héroïques, on croit assister à une campagne du premier consul, et l’on sent pétiller l’esprit français dans toute sa verve native. Privas, Castres, Nîmes, Uzès, Montauban, de belles cités romaines et de vieux châteaux moresques tombèrent tour à tour au pouvoir des forces royales. La démolition des remparts commençait sitôt après la conquête, et Richelieu écoutait avec une inexprimable joie le bruit de ces ruines, qui, en tombant, annonçaient à la France la perpétration de son œuvre.

Si des cruautés furent commises dans l’enivrement de la lutte et du triomphe, le cardinal y resta constamment étranger, se bornant à

  1. Mémoires de Richelieu, liv. XX, et Vie du cardinal de Richelieu, par Le Clerc, t. II, liv. III.