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inconvenante de clémence, le sang de Chalais fumait encore sur le Bouffay de Nantes, et l’exécuteur aiguisait déjà sa hache pour abattre la tête de Boutteville. Le maréchal d’Ornano, enfermé au bois de Vincennes, n’avait payé que de sa liberté son intimité avec Monsieur. Il n’en fut pas ainsi de l’imprudent jeune homme qui avait accepté le rôle périlleux d’agent secret du cardinal auprès de ce prince, et auquel la chronique, qui fausse l’histoire aussi souvent qu’elle la complète, prête un rôle plus dangereux encore auprès de la duchesse de Chevreuse, celui de rival et d’amant préféré. Que Chalais fût entré dans une conspiration en acceptant la mission de la surveiller, qu’il fût l’un des instrumens du vaste complot tramé pour éloigner le frère du roi et lui livrer une place frontière, cela n’est pas contestable ; qu’il connût par confidence le plan ourdi par quelques affidés de Gaston pour tuer le cardinal dans sa propre maison de Fleury, il n’est pas interdit de le penser ; mais qu’il ait formé lui-même le projet d’attenter aux jours du roi, c’est là une imputation peu justifiée, que la frivolité de ce jeune homme suffit pour rendre invraisemblable. Ce dernier crime cependant eût seul légitimé la rigueur du supplice, puisque l’autre avait de nombreux complices connus et impunis parmi les hommes les plus considérables de la cour. Chalais le confessa lui-même avec ingénuité : il voulait être de la conspiration parce que tout le monde en était ; ce fut une affaire de mode et de bon goût, peut-être d’entraînement et d’amour[1].

On se rappelait alors, souvent funeste à plusieurs ! les grandes factions de la régence, les fortunes élevées au milieu des troubles et grandies par ces troubles mêmes ; on savait qu’il en était à cette époque des conspirations de cour comme des coups de lance du XIIe siècle, au moyen desquels se conquéraient duchés et royaumes outre-mer, et l’on ne se souvenait pas, depuis la mort du roi Henri, d’une condamnation juridique exécutée sur un homme de qualité pour avoir suivi la bannière d’un prince du sang. L’héritier de la maison de Périgord ne devina pas que les temps étaient changés, et que ce qui fut jusqu’alors un moyen de fortune était devenu tout à coup un crime irrémissible.

Confinés dans une prison rigoureuse, les princes de Vendôme, ces frères bâtards du roi, venus à la cour sur une invitation amicale,

  1. On peut comparer sur ce point la diffuse défense de Chalais, présentée par Levassor, aux imputations passionnées du cardinal. — Histoire du règne de Louis XIII. t. V, première partie, et Mémoires de Richelieu, liv. XVII.