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LES ESSAYISTS ANGLAIS.

indissolubles : il n’est pas un homme d’état anglais dont la culture intellectuelle n’ait été profonde et distinguée. Il est inutile de citer Burke et Sheridan, deux parvenus de la littérature, mais on peut nommer Fox, si remarquable, par la chasteté de son goût, Pitt, qui, dans son enfance, dégustait par amusement le suc des légères épigrammes de l’Anthologie grecque, et parmi les contemporains lord John Russell, lord Palmerston, sir Robert Peel surtout, qui, au milieu de ses plans financiers, de ses combinaisons de tarifs, de ses traités de commerce, peut encore, si vous recourez à son autorité, reconnue en ces matières, résoudre vos doutes sur une leçon controversée d’Horace, ou vous donner la variante la plus élégante à un vers de Catulle. L’historien romain qui nous a laissé le portrait de Sylla, immédiatement après avoir rappelé son origine patricienne, parle, comme si c’était en effet une seconde noblesse, de son exquise culture littéraire : Litteris græcis atque latinis juxta atque eruditissime doctus. Il semble de même que, pour les Anglais, il n’y ait pas de supériorité, de distinction complète, si l’on n’y joint la qualité de lettré consommé, de scholar. Certes, les Anglais passent à bon droit pour suffisamment entendus aux choses positives : gardons-nous donc de croire que la négligence ou le dédain des exercices littéraires soit une nécessité et un indice de cet esprit pratique que l’on est aujourd’hui parmi nous si ambitieux d’acquérir, si fier de posséder. Chez nous aussi, après avoir été contractée sous la restauration, l’alliance de la littérature avec la politique a eu son glorieux triomphe à la révolution de juillet. Ne laissons pas se relâcher l’alliance après la victoire ; ne commettons pas la faute de ne vouloir être que des hommes d’affaires ; ne recommençons pas Walpole. La politique et la littérature y perdraient assurément toutes deux en dignité et en force. Il y a là, des deux parts, un péril commun, signalé depuis long-temps, qu’il faut se hâter de conjurer par un effort combiné. On y paraît disposé du côté des lettres. Un écrivain qui a qualité pour parler au nom de la littérature a souvent réclamé ici cette association. Il appartiendrait à ceux qui sont du côté des affaires et qui y sont arrivés par la littérature de répondre à cet appel, car l’impulsion féconde doit venir d’eux.


E. Forcade.