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LES ESSAYISTS ANGLAIS.

cice du patronage, ils secouèrent l’ascendant de Carteret, et se trouvèrent naturellement et sans efforts à la tête des affaires. Leur gouvernement est une époque unique dans l’histoire d’Angleterre. Profitant de l’expérience de Walpole, dont il rappelait d’ailleurs plusieurs des meilleures qualités pratiques, mais dont il n’avait pas l’esprit hautain et cassant, M. Henry Pelham s’associa, en leur faisant une part dans l’administration, tous les talens, toutes les influences. Il établit ainsi au ministère que les Anglais ont appelé de l’intraduisible sobriquet de broad-bottom, un ministère bien assis, à large base, quelque chose d’approchant au fond de ce cabinet de grande coalition qu’on avait rêvé chez nous après la chute de M. le comte Molé. La rébellion des highlanders contribua aussi à faire cesser les luttes des factions intérieures. La répression de ce soulèvement écrasa pour toujours le jacobitisme. Pendant plusieurs années, et pour la première fois depuis les Stuarts, on ne vit point d’opposition dans la chambre des communes. L’administration de M. Henry Pelham fut comme un apaisement de toutes choses, comme l’assoupissement de ces énergiques et turbulentes facultés que les institutions libres semblent donner aux peuples pour des luttes éternelles. Elle fut la parfaite réalisation du quieta non movere de Walpole. Elle montra aussi une des issues que peut avoir, une des formes que peut prendre l’influence prépondérante des assemblées représentatives, lorsque, affranchies par les circonstances ou par un vice des institutions, des inspirations et du contrôle de l’opinion publique, elles cèdent au pouvoir cette influence par des compromis d’intérêts.

Cependant une situation semblable ne pouvait être qu’artificielle et par conséquent fragile. Elle ne durait que par l’équilibre des ambitions, des talens, des influences. Il fallait, pour maintenir cet équilibre, avec des aptitudes éminentes reconnues de tous, un esprit souple et délié, une main délicate, exercée au difficile maniement des intérêts et des vanités. On le vit bien lorsque M. Pelham mourut ; son frère, le duc de Newcastle, un de ces personnages comiques qui viennent égayer de temps en temps la scène de l’histoire, héritait de ses moyens matériels d’influence, mais non de sa perspicacité, de sa circonspection, de sa solide capacité administrative. D’autant plus jaloux de son pouvoir qu’il était moins digne de le posséder, il se fut bientôt aliéné Pitt et Fox (les pères de ceux dont la longue rivalité a été si éclatante), les deux hommes auxquels leurs talens donnaient le droit d’aspirer à la première place, et que la prudente modération de Pelham avait eu peine à contenir dans