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tres peuples, les intérêts politiques s’associèrent sans doute au mouvement de la réforme, mais ils n’en eurent pas la direction dogmatique. Luther, Calvin, Knox, dominent l’électeur de Saxe, le Prince de Condé, le comte de Morton. Les positions sont renversées en Angleterre : les sectaires restent dans l’ombre ; les meneurs de la réforme sont des politiques. On ne peut évidemment s’expliquer leur succès que par l’indifférence religieuse, le scepticisme pratique que développent et nourrissent l’habitude et le goût du bien-être matériel. Le cardinal Bentivoglio a laissé, de la situation religieuse de l’Angleterre à cette époque, une curieuse statistique acceptée par M. Macaulay, et qui confirme cette explication. Ce cardinal ne portait pas à plus d’un treizième de la population le nombre des catholiques fervens. Les quatre cinquièmes de la nation auraient passé sans scrupule d’un culte à l’autre.

On attribue ordinairement la paisible issue de l’entreprise religieuse de Henry VIII au pouvoir absolu de la royauté sous les princes de la maison de Tudor. M. Macaulay a fait justice de ce préjugé dans sa critique de l’Histoire constitutionnelle de Hallam, et dans son étude sur le premier ministre d’Elisabeth, Burleigh. Il y rend à la monarchie des Tudors son véritable caractère. À ne juger la puissance de cette dynastie que par les dehors, on la dirait, il et vrai, absolue. Voyez-en, par exemple, la plus glorieuse période, le règne d’Elisabeth. La couronne ne saurait avoir à l’égard du parlement un langage plus impérieux, plus hautain. Les membres des communes expient par des châtimens sévères les moindres libertés de parole. La mutilation ou la mort fait justice de l’écrivain qui déplaît à la cour. Le crime de non-conformity est puni des plus cruels supplices. Jamais, dans aucun pays, de plus grands périls n’ont été attachés aux dignités. Buckingham, Cromwell, Surrey, Seymour Sommerset, Northumberland, Suffolk, Norfolk, Essex, périssent sur l’échafaud. Le despotisme n’a pas de plus terribles apparences ; mais ce n’en sont ici que les apparences. Allez plus loin : bientôt, en effet, vous vous apercevez, comme le remarque M. Macaulay, que « la puissance des Tudors n’avait d’autre fondement que l’obéissance volontaire de leurs sujets. » Ils ne devaient cette obéissance qu’à la sécurité, à la prospérité, à la gloire, que leur habile gouvernement donnait au pays. Si une invasion menaçait l’Angleterre, si un grand seigneur ambitieux se révoltait, la royauté, qui n’avait pas d’armée permanente, était forcée de recourir à la nation ; elle attendait de son bon vouloir les troupes et les subsides. Dans ces conjonctures