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voquées pour le 26 décembre. Que fera le ministère ? Quelles sont les mesures qu’il proposera aux chambres ? Sur quel point sera-t-il accusé par l’opposition ? Qui fera de l’opposition ? Tout le monde en fera-t-il un peu, selon le temps et l’occasion, pour remplacer l’ancienne opposition, qui tombe peu à peu en défaillance ? On ne peut faire aucunes conjectures sur ces divers points. Ce qui est certain, c’est que le ministère abordera les chambres au milieu d’un grand repos des esprits ; on croirait même volontiers qu’il aurait plutôt à lutter contre le calme que contre la tempête. L’opinion publique ne paraît pas disposée à s’émouvoir aisément ; on a beaucoup parlé des fortifications : elle ne s’en est pas souciée. M. de Lamartine a fait un brillant manifeste d’opposition : l’opinion publique ne s’est pas remuée davantage ; elle eût même mieux aimé, nous en sommes persuadés, que l’illustre poète, au lieu d’un manifeste politique, nous donnât quelqu’une de ces belles poésies qu’il faisait autrefois. Cela eût été un plus grand évènement. M. de Lamartine, nous le disons à regret, représente en ce moment en France ceux qui veulent faire de la politique quand il n’y a pas de quoi. Comment faire boire ceux qui n’ont pas soif ? dit un vieux proverbe ; c’est là le problème que M. de Lamartine essaie en vain de résoudre. Pendant long-temps, nous avons entendu des gens d’esprit prétendre qu’il ne fallait plus faire de politique ; la manie politique perdait tout : « Faisons des affaires, disaient-ils, et laissons la politique. » Inutiles prédications. Comme il y avait des questions politiques à résoudre, l’opinion publique continuait à s’occuper de politique. Aujourd’hui, il y a peu de questions politiques à résoudre ; aussi le pays fait ses affaires, et c’est en vain que M. de Lamartine lui prêche sa politique. Pourquoi M. de Lamartine épuise-t-il son talent en anachronismes ? Pourquoi vouloir refaire, en 1843, ce qui s’est déjà fait en 1832 et 1833 ? Pourquoi donner de nouvelles éditions des vieilles passions des premiers jours de la révolution de juillet ? Les brillantes préfaces que M. de Lamartine met à ces éditions ne les rajeunissent pas suffisamment. On lit la préface, mais on laisse le livre. M. de Lamartine est de taille à être auteur et non éditeur ; mais pour être auteur en politique, il faut, même aux plus grands génies, il faut un collaborateur : ce collaborateur, c’est tout le monde, c’est l’opinion publique, personne ne peut se passer de son concours. Qu’il attende donc l’occasion ; elle viendra s’il sait l’attendre. Elle lui est venue en 1839, quand il a combattu à la tête du parti conservateur.

Quand nous disons qu’il n’y a guère en ce moment de questions politiques, nous nous trompons : il y en a une fort grave et fort sérieuse qui grossit tous les jours, et qui n’est pas moins une question sociale qu’une question politique ; nous voulons parler de la lutte qui, il y a quelques mois encore, pouvait s’appeler la lutte entre le clergé et l’Université, et qui aujourd’hui est devenue la lutte entre l’église et l’état. Nous verrons comment le gouvernement saura la résoudre.


V. de Mars.