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REVUE. — CHRONIQUES.

d’hui à l’Irlande ses conseils de modération, quand il lui dit tous les matins et sous toutes les formes : Soyez calmes, soyez pacifiques, cela veut dire tout simplement : Restez un embarras pour l’Angleterre, mais ne devenez jamais pour elle une guerre civile. Comme embarras et comme difficulté, vous êtes puissans, vous êtes invincibles ; comme guerre civile, vous ne durerez pas une heure. Trois salves donc d’applaudissemens pour notre gracieuse reine Victoria !

Mais le rappel ! mais le parlement irlandais ! Mots de guerre, consignes d’un jour de bataille. Que risque d’ailleurs l’Irlande à s’agiter ? Sera-t-elle plus pauvre, plus affamée ? C’est impossible. L’Irlande est souvent restée calme et tranquille. Qu’a-t-elle obtenu ? Rien ! Elle a eu de la vertu en pure perte. Aujourd’hui qu’elle gêne et embarrasse l’Angleterre par son agitation permanente, elle obtiendra quelque chose, peut-être pour les prêtres catholiques une plus juste répartition des biens de l’état ou de l’église protestante, pour les fermiers une diminution de charges, pour le peuple en général une administration plus irlandaise et plus sympathique. L’Irlande est avec O’Connell comme un malade avec un médecin quelque peu charlatan qui dit : — Je vous guérirai radicalement de vos maux ; de faible, je vous ferai fort ; de vieux, je vous ferai jeune. — Le médecin ne tient pas toutes ses promesses ; mais s’il fait vivre le malade en paix avec son mal, s’il allége ses souffrances, si du paralytique il fait seulement un boiteux, il sera béni et récompensé. L’Irlande ne peut que gagner à la conduite que lui prescrit O’Connell ; voilà ce qui la soutient, voilà ce qui fait la force d’O’Connell. Nous ne disons pas que l’Irlande se rende un compte exact de sa situation, et qu’elle s’entende avec O’Connell pour jouer la comédie du rappel ; nous ne disons pas qu’elle surfasse avec préméditation et par calcul : non ! mais elle sait d’où elle vient, c’est-à-dire de la plus effroyable misère, et si elle ne sait pas où elle va, c’est souvent, selon Cromwell, le moyen d’aller loin. Elle sait enfin, pour tout dire d’un mot, qu’elle n’a rien à perdre et quelque chose à gagner.

O’Connell, avant l’interdiction du meeting de Clontarf, n’avait guère plus rien à faire, sinon un autre meeting, puis un autre, et ainsi de suite jusqu’à l’épuisement de ses inépuisables poumons, car il ne voulait pas aller jusqu’à l’insurrection. O’Connell accusé, plaidant sa cause, discutant la légalité des mesures prises par le gouvernement, trouve une nouvelle forme à donner à l’embarras permanent que l’Irlande cause à l’Angleterre. Aussi, pour se faire à son nouveau rôle et pour préparer ses plaidoyers et ses controverses juridiques, il change quelque peu son langage. L’orateur redevient avocat ; il n’a jamais songé à démembrer l’empire britannique, il proteste hautement, et sincèrement nous le pensons, contre une pareille imputation : il veut seulement que les intérêts de l’Irlande soient traités par une administration irlandaise. Il y a dans le langage d’O’Connell bien des contradictions, nous le reconnaissons ; mais le peuple pardonne aisément à qui manque à la logique de l’école, pourvu qu’on ne manque pas à la logique des passions et des intérêts populaires. Or, O’Connell ne manque pas à cette logique-là. O’Connell n’est donc pas fini ; il est rentré seulement un instant dans la coulisse pour changer de costume.

À l’intérieur, la politique attend les chambres, qui seront, dit-on, con-