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REVUE. — CHRONIQUE.

Isabelle aura saisi le pouvoir, il faudra opter, opter nettement entre la fidélité et la trahison. Nous sommes convaincus que cela seul calmera plus d’un esprit et désarmera plus d’un rebelle. C’est une porte honorable ouverte au repentir, surtout si la proclamation de la majorité est suivie, comme cela paraît naturel, d’une amnistie générale.

Les affaires de Barcelone et de Saragosse, si déplorables qu’elles puissent être n’ont pas une grande importance politique. Ce sont évidemment des maladies locales. Tout en regrettant les malheurs dont ces troubles sont la cause, nous croyons qu’ils sont plutôt utiles que nuisibles à l’avenir de la monarchie constitutionnelle. C’est le dernier effort, l’effort désespéré d’une faction que l’expérience seule pouvait convaincre de son impuissance. Les factions qui en veulent à l’ordre social, et avec lesquelles en conséquence on ne peut pas transiger, ne rentrent dans le silence et dans l’obscurité que lorsqu’elles ont livré leur dernière bataille, brûlé leur dernière cartouche, et acquis à leurs dépens la certitude que la société est plus forte qu’elles.

Les affaires d’Irlande ont tour à tour déconcerté beaucoup de prédictions. Pendant quelque temps, à voir ces immenses meetings, ces discours à la fois ardens et prudens du grand libérateur, on a cru qu’il s’agissait pour l’Angleterre d’une tentative de révolution irlandaise. L’Irlande, disait-on, sera certainement vaincue dans la lutte qu’elle ose entreprendre contre l’Angleterre ; mais il y aura une lutte. Comment penser, en effet, que de pareilles foules pouvaient être impunément agitées ? Comment s’imaginer que des passions telles que le patriotisme, la haine, la vengeance, la pauvreté, la famine, pouvaient être excitées et attisées sans que jamais le feu prît aux poudres, sans que jamais la chaudière fît explosion ? C’est pourtant ce qui a eu lieu : l’habile mécanicien connaît bien sa machine ; il sait jusqu’à quel degré elle peut être chauffée sans danger. Il lui a donc fait produire force bruit et force fumée ; mais il a empêché l’explosion. Il y a eu cependant pour O’Connell, il faut l’avouer, une heure critique : c’est le moment où il a fallu, en quelques heures, empêcher la réunion du grand meeting de Clontarf. Le gouvernement anglais, après avoir long-temps hésité ou long-temps attendu, s’est décidé tout à coup à interdire la réunion des meetings, et il a pris ses mesures avec cette hardiesse et cette énergie qui le caractérisent. Partout des troupes, des armes, des préparatifs de guerre. La bataille semblait offerte. L’Irlande allait-elle l’accepter ? La guerre civile allait-elle commencer ? De ce côté-ci de la Manche, nous eussions parié pour la guerre civile. Comment reculer, en effet, après s’être tellement avancés ? Mais O’Connell entend le courage comme l’entendait l’Ajax d’Homère, qui reculait quand il se sentait le plus faible ; il a eu le courage qui cherche le succès : il n’a pas le courage du point d’honneur. Il a reculé, et l’Irlande tout entière a reculé avec lui. Jamais, selon nous, il n’y a eu un signe plus expressif de la puissance d’O’Connell que d’avoir pu, en quelque heures, licencier les bataillons innombrables qu’il avait appelés, avoir montré que personne en Irlande n’osait être plus courageux ou plus téméraire que lui-même.

Ce que c’est que d’avoir fait des révolutions et des émeutes ! Ce que c’est