Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/492

Cette page a été validée par deux contributeurs.
486
REVUE DES DEUX MONDES.

La Guerra del Vespro n’était encore connue qu’en Sicile, lorsque parut en France un livre de MM. Possien et Chantrel, intitulé Vêpres siciliennes[1]. À part deux médiocres chapitres empruntés pour le fond à l’abbé Fleury et à l’Innocent III de Hurter, je croyais lire encore M. Amari. Une certaine enluminure néo-catholique, l’éloge à tout prix des papes, me dépaysaient cependant ; puis, dans la Guerra del Vespro, les notes, les citations, les témoignages de toute sorte abondaient : ici, au contraire, aucune autorité n’était invoquée, et l’on n’avait qu’un texte net et courant comme celui d’Hérodote ou de Tite-Live. C’est à peine, je crois, si quelque obscure compilation d’un faiseur de manuels, M. Émile Le Franc, était invoquée en passant comme une source sérieuse. Le contraste me semblait étrange : le livre était lourd, mal écrit, il s’y rencontrait des fautes de grammaire (autour pour alentour, etc.) ; mais, en revanche, il paraissait renseigné, nourri, savant. En confrontant l’ouvrage de M. Amari avec celui de MM. Possien et Chantrel, tout me fut expliqué, et je reconnus dans le volume français une traduction presque littérale de la Guerra del Vespro. Point de préface, aucune indication sur le titre ; seulement, dans une note perdue, il est dit qu’on suivra « presque pas à pas une histoire qui vient de paraître en italien. » Quant au nom même de M. Amari, il n’est prononcé qu’une seule fois, et dans le texte. On vient de lui emprunter, sans y presque changer un mot, tout un long chapitre, et on termine cette traduction impudente en disant : « Voici les réflexions de M. Amari sur ce sujet. » Puis viennent deux pages guillemetées. De cette façon, le lecteur ne se doute pas du plagiat. Traduire, abréger, interpoler, mutiler, gâter un livre, et ensuite signer cette œuvre informe de son propre nom, alors qu’on n’y est même pas pour un sixième, le procédé, on l’avouera, est par trop commode. Il suffit de le dénoncer pour en faire justice. M. Amari a été pillé, dépouillé, puis on l’a battu avec ses propres armes. Quand les néo-catholiques se permirent de falsifier, il y a quelques années, l’Histoire de la papauté, ils eurent au moins la pudeur de laisser le nom de M. Ranke sur le titre. Aujourd’hui, un badigeonnage de sacristie, une grossière teinte de religion, ont suffi aux maladroits copistes pour qu’ils se crussent propriétaires du monument. Nous doutons que le public accepte cette mauvaise plaisanterie. Ces messieurs savent un peu trop l’italien et pas assez le français.


Ch. Labitte.
  1. 1 vol.  in-8o, chez Debécourt, rue des Saints-Pères.