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lien oppose au despotisme présent, comme un suprême exemple, les libertés du passé : c’est une malice d’érudit envers le pouvoir absolu. Au fond pourtant, le procédé est le même.

Cette partie systématique est peut-être celle à laquelle M. Amari attache le plus d’importance ; mais ce sont là des chimères qui ne tiendraient pas devant une critique détaillée. Le défaut de la Guerra del Vespro est celui de tous les livres qui se produisent hors des grands centres littéraires ; l’esprit local y a trop laissé son empreinte. Il nous répugnerait d’entrer dans une discussion particulière ; mais une remarque pourtant nous frappe : c’est combien, dans l’hostilité continue qui l’entraîne contre la politique des papes, M. Amari oublie que la monarchie aragonaise aussi était, en Sicile, une monarchie étrangère. Je ne voudrais pas assurément prendre à tâche de justifier toute l’histoire temporelle de la cour de Rome ; il y aurait un peu trop à faire. Néanmoins M. Amari, malgré sa parfaite bonne foi, ne nous paraît pas avoir toujours rencontré la vraie mesure. En Italie, on en est encore au XVIIIe siècle, personne ne goûte plus que nous le XVIIIe siècle, personne n’apprécie mieux l’utilité de son œuvre ; mais enfin cet esprit-là a fait son temps, et maintenant l’impartialité ne coûte rien à notre indifférence. Béranger disait très bien aux libéraux de la restauration :

On peut aller même à la messe ;

nous dirons à M. Amari, ou plutôt à la plupart des modernes écrivains de l’Italie : « On peut être juste, même envers les papes. »

Ces objections générales ne font aucunement tort au patriotisme de M. Amari : le patriotisme, au contraire, en est à la fois l’explication et l’excuse. Ceux même qui n’accorderaient pas leur sympathie à l’esprit philosophique qui a guidé l’auteur s’empresseront de reconnaître tout ce qu’il y a d’utiles recherches et de science réelle dans cette vaste exposition de la révolution sicilienne du XIIIe siècle. M. Amari a le mérite d’avoir le premier, par une judicieuse et ferme critique, écarté tous les faits qui ne sont pas fondés sur le témoignage formel des écrivains contemporains et des documens authentiques. Toutes les sources italiennes et latines ont été soigneusement et scrupuleusement épuisées : des notes nombreuses en témoignent au bas de chaque page, et un appendice étendu a été ajouté, qui contient une foule de pièces importantes et inédites qu’ont fournies à l’estimable écrivain les archives et les manuscrits. Il pourrait y avoir plus d’ordre, plus de sobriété, un style plus élégant dans l’ouvrage de M. Amari ; on n’y saurait, en revanche, désirer plus de conscience, plus de résultats nouveaux et frappans. Au roman de la conspiration l’auteur de la Guerra del Vespro a substitué, par les textes, un ordre de faits inattendus, une vue tout-à-fait nouvelle dont les historiens devront désormais tenir compte. Cette restitution est véritablement importante, et le souvenir en restera attaché au nom de M. Michele Amari.