Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/490

Cette page a été validée par deux contributeurs.
484
REVUE DES DEUX MONDES.

nisme. Gibbon croit que Pierre d’Aragon était en Afrique au moment où les vêpres siciliennes eurent lieu : dans cette hypothèse, l’opinion qu’il adopte est très vraisemblable, et même la seule vraisemblable. Par malheur, sa chronologie est fautive, et M. Amari démontre que ce fut seulement quatre mois plus tard que Pierre quitta l’Espagne.

M. Amari ne s’arrête pas à la restauration souabe, et poursuit, dans les détails, le tableau de toute cette curieuse période. La guerre en effet qu’avait allumée la vengeance se prolongea avec acharnement pendant vingt années, et eut tour à tour pour théâtre la Méditerranée, la Sicile, la Calabre, l’Espagne ; mais, selon l’historien de la Guerra del Vespro, les maisons d’Anjou et d’Aragon ne tinrent pas les premiers rôles dans cette lutte acharnée : ce furent bien plutôt la cour de Rome et le peuple de Sicile. Martin IV épuisa les foudres pontificales, les trésors de l’église, le sang des guelfes d’Italie ; il déchaîna la France contre l’Aragon, il troubla toute l’Europe. Ses successeurs se trouvèrent engagés dans cette politique d’intrigues et de batailles. Boniface VIII, à la fin, s’y jeta avec tant de violence et de scandales, que la fortune tourna décidément contre lui ; il fut forcé de reconnaître l’indépendance de la Sicile et sa monarchie nouvelle. À part la flétrissure qu’il imprime à bon droit aux inutiles cruautés du massacre, l’auteur de la Guerra del Vespro accorde une sympathie presque enthousiaste à cette histoire des Siciliens durant la dernière moitié du XIIIe siècle. M. Amari fait presque de cet âge une ère héroïque : le patriote, je le crains, prend un peu trop ici sur l’historien. Selon l’écrivain italien, cet amour de la liberté, qui avait d’abord fondé une république, ne s’éteignit pas par la restauration de la monarchie souabe : la Sicile obtint peu à peu de nouvelles garanties contre les empiètemens de la royauté, contre les usurpations féodales. Ces efforts persévérans amenèrent, dans l’administration civile comme dans l’ordre judiciaire, des lois excellentes, une organisation digne des meilleures époques. Le droit populaire se conserva dans les assemblées, et, lorsque Jacques d’Aragon eut traité avec les ennemis de la Sicile, ce fut le parlement sicilien qui élut Frédéric pour roi à sa place et qui arracha à la couronne le droit de paix et de guerre. M. Amari voit dans tout cela une sorte de type, un antécédent curieux du gouvernement constitutionnel, et il croit que la tradition des vêpres et de la réforme politique opérée par cette mémorable révolution a traversé cinq siècles et s’entrevoit encore aujourd’hui dans le droit public de la Sicile.

Si chères qu’elles paraissent à l’auteur, nous avons peur que ces idées ne couvrent plus d’une illusion, et que M. Amari ne prenne quelquefois les priviléges municipaux pour les libertés politiques. Il est toujours mauvais de placer son idéal en arrière ; l’idéal doit luire au contraire de toutes les clartés de l’avenir. Cela ressemble trop (en un tout autre sens heureusement) à la doctrine historique de M. de Genoude. Dans un pays libre, les théoriciens de la Gazette voient au moyen-âge le modèle de toutes les libertés : c’est une perfidie envers la liberté ; dans un pays de droit divin, le publiciste sici-