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et quatre mille Français périrent dans ses murs, au son du tocsin. Bientôt le massacre se propagea dans l’île tout entière. Des bandes armées se mirent à poursuivre à travers les campagnes les malheureux Provençaux, qui, lassés à la fin de fuir, venaient se livrer eux-mêmes à l’épée des assassins, ou se précipitaient du haut des rochers. De toute cette colonie d’étrangers, un seul, que sa bonté avait rendu populaire, fut épargné par le peuple : le seigneur Guillaume Porcelet fut autorisé à faire voile vers Marseille.

Jusqu’ici le caractère essentiellement démocratique des Vêpres siciliennes avait été méconnu. Dès la première nuit de la révolte, on proclama la république à Palerme. Les autres villes furent invitées à se joindre à la capitale ; des troupes eurent mission de poursuivre jusqu’au dernier Français. On le sait, dès que quelqu’un paraissait suspect, on lui mettait le poignard sur la gorge, pour le forcer à dire le mot ciceri (pois chiches), et comme l’accentuation des pénultièmes italiennes est toujours mal articulée par un Français, on reconnaissait à leur prononciation fautive ceux qui cherchaient leur salut dans un déguisement. En un mois, la révolution eut fait le tour de l’île, et la confédération des municipes, sous l’invocation du saint-siége, remplaça l’ancienne monarchie. Haine de l’étranger, goût de l’indépendance républicaine, tels furent les deux mobiles des vêpres. Dante ne paraît pas attribuer cette insurrection à une autre cause, et, selon lui, la race de Charles d’Anjou eût été assurée du sceptre,

Si mala signoria, che sempre accuora
Li popoli suggetti, non avesse
Mosso Palermo a gridar : Mora ! mora !

(Parad., 8.)

« si le mauvais gouvernement, qui toujours encourage à la révolte les peuples soumis, n’avait excité Palerme à crier : Meure ! meure ! » il y a loin de là au roman de Procida et à sa conspiration purement dynastique au profit de la lignée souabe. Tous les documens contemporains, soit imprimés, soit manuscrits, ont été lus et relus par M. Amari avec une laborieuse patience, et ce dépouillement établit d’une manière irréfragable que la tradition reçue jusqu’ici n’a été énoncée que par des écrivains de beaucoup postérieurs aux évènemens. L’originalité et l’importance du livre de M. Michele Amari est donc de restituer à l’un des faits les plus populaires de l’histoire du moyen-âge sa place et sa couleur véritable. Il est maintenant évident que Giovanni de Procida n’a pas été un imitateur heureux de Catilina, un précurseur de Rienzi et de Mazaniello : sa conspiration est une fable qui doit aller rejoindre la mendicité de Bélisaire et la louve de Romulus. Encore une fois, il est prouvé, par des textes authentiques, que Procida n’était pas à Palerme lors des vêpres siciliennes.

C’est à Voltaire, il est bon de le dire, que revient l’honneur d’avoir le premier deviné la vérité sur ce point. Son sens si net lui faisait aussitôt voir clair dans les faits, sans tous les scrupules d’une érudition méticuleuse. Ici, sa