Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/487

Cette page a été validée par deux contributeurs.
481
REVUE LITTÉRAIRE.

tions qui ne résistent pas à un examen un peu attentif. La restauration de la ligne souabe en Sicile a été l’effet éventuel et non l’objet de ce mouvement révolutionnaire.

Il est bien vrai que, menacé d’une prochaine croisade contre Constantinople par les préparatifs militaires de Charles d’Anjou, l’empereur Michel Paléologue avait, comme dernière ressource, conclu un traité d’alliance avec Pierre roi d’Aragon, lequel maintenait sourdement ses prétentions sur la couronne de Naples comme mari de Constance, fille de Mainfroi. Jean de Procida, réfugié napolitain à la cour d’Aragon, paraît avoir été l’un des agens de cette obscure négociation. Peut-être même essaya-t-il de nouer quelques intrigues avec le petit nombre d’anciens barons siciliens échappés à la spoliation fiscale et aux proscriptions de la maison de Provence. Cela est possible ; mais ce qui est certain (M. Amari le prouve sans réplique), c’est que Procida n’était pas en Sicile pendant les vêpres siciliennes, c’est qu’aucun baron ne prit part à cette révolution exclusivement populaire, c’est que la révolte enfin, loin d’être concertée à l’avance, loin d’éclater à la même heure dans toute la Sicile, commença par hasard à Palerme et se répandit ensuite dans l’île. Il y avait long-temps qu’une haine violente fermentait au sein des masses ; les vieilles dénominations de Gaulois et de Latins avaient repris cours. On s’excitait par des plaintes mutuelles, par des propos amers. Dans les groupes, c’étaient le plus souvent des insinuations menaçantes, des regrets sur l’abaissement honteux de cette race sicilienne qui, depuis seize années, n’osait pas secouer le joug : « Nous sommes dégénérés, nous sommes le plus vil peuple de la chrétienté ! Vili bastardi siam noi… Noi di cristianità il popol più abbietto. » Tel était le sentiment général. Au printemps de 1282, quelques mesures nouvelles avaient encore exaspéré, dans la population palermitaine, la haine des étrangers, le désir des représailles. Un rien pouvait rompre la digue. On sait quel prétexte suffit à l’émeute. Il était défendu aux nationaux de porter des armes, et les Provençaux profitaient souvent de ce droit de visite pour tyranniser les habitans par mille vexations de détail. Le mardi de Pâques, une jeune fille se rendait à l’église avec son fiancé et sa famille, pour la messe du mariage ; un agent français, appelé Drouet, trouvant sans doute cette fille avenante, voulut, sous air de chercher quelque arme défendue, procéder à une perquisition peu discrète. Le mari alors se récria avec colère, et là-dessus un passant indigné, saisissant l’épée de Drouet, en tua sur place ce misérable. C’en fut assez, le signal était donné. L’émotion se répandit aussitôt jusque dans les derniers quartiers de Palerme. On sonna l’alarme, et, en quelques heures, deux ou trois mille Provençaux furent égorgés sans pitié. La garnison et les fonctionnaires français s’attendaient si peu à cette subite rébellion, qu’ils se laissèrent tous tuer sans la plus petite résistance. Un seul soldat, qu’on découvrit caché derrière une cloison, voulut vendre au moins sa vie, et frappa, avant de tomber lui-même, trois des insurgés. Enfans, femmes, vieillards, on n’eut de clémence pour personne. Quelques jours plus tard, Messine, entraînée par l’exemple de Palerme, renouvela cette boucherie,