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REVUE LITTÉRAIRE.

fâcher de cela ! » Fût-ce à la suite d’un rêve de revenans ? je ne sais ; en 1811, Mlle de Brentano épousa un écrivain célèbre de l’Allemagne, et devint Mme d’Arnim. Les jeunes époux allèrent voir le vieux Goethe bientôt après ; mais à la suite d’on ne sait quel dissentiment d’opinion, un refroidissement eut lieu. À ce propos, Goethe, avec sa sécheresse ordinaire, dit seulement dans ses Mémoires : « Nous nous quittâmes avec l’espoir de nous revoir bientôt et sous de plus heureux auspices. » L’habituelle correspondance de Bettina fut donc interrompue. Six ans après, en 1817, gardant toujours au mur ses poétiques penchans, elle risqua une première lettre bien tendre, bien affectueuse, où elle s’accusait, où elle disait : « Qu’il y a peu de bon en moi ! » Goethe ne répondit pas. En 1821, après ce qu’elle appelait dix ans de solitude, Mme d’Arnim essaya de nouveau, avec tout l’élan de la passion, de renouer cette liaison rompue : « Œil de mon ame, écrivait-elle au poète, on a voilé mon cœur, on a enseveli mes sens. La digue que l’habitude avait bâtie est emportée… » Rien ne toucha l’inflexible divinité, qui s’obstina dans le silence. C’est alors sans doute que, pour se consoler, Bettina composa, sous le titre de Livre d’Amour, une sorte de poème en prose, qui offre le résumé de ses lettres, et où son talent se manifeste dans tout son éclat et avec une forme moins diffuse. La nature vraie de l’affection de Mme d’Arnim pour Goethe s’y révèle par ce seul mot : « Te comprendre, c’est te posséder. » L’amour chez Bettina n’a été, en effet, que l’exaltation du culte de l’intelligence. En 1832, Achille d’Arnim mourut ; mais, à cette date, Goethe lui-même touchait à la tombe. Par une coïncidence saisissante, la dernière visite qu’il reçut fut celle du fils de Bettina, et c’est sur l’album de cet enfant que sont écrits les derniers vers qu’ait tracés la main du grand homme. Quand Dieu eut rappelé Goethe à lui, on restitua à Mme d’Arnim la volumineuse correspondance de Mlle de Brentano. Ce sont ces pages, dans leur désordre, dans leur franchise exaltée et sauvage, que Bettina a cru devoir publier elle-même intégralement, comme un dernier hommage à une mémoire chère ; elle a voulu que d’autres, avec elle, après elle, pussent cueillir sur cette tombe la fleur sacrée du souvenir. Aujourd’hui encore, après des années, quand le vieillard qu’elle a si étrangement poursuivi de son amour enthousiaste ne vit plus que dans la mémoire des hommes, Mme d’Arnim demeure fidèle à la religion de son cœur et conserve cette même admiration soumise, absolue, dévouée ; toujours agenouillée devant l’idole, elle dit encore à son Wolfgang : « Laisse-moi à tes pieds, tout-puissant, prince, poète. » Dante n’allait pas si loin pour Virgile :

Tu duca, tu signore e tu maëstro.

Chez Bettina, si ce n’est pas du parti pris (et j’en doute, car elle semble sincère), C’est au moins du fétichisme.

La délicate traduction de M. Sébastien Albin est faite pour répandre en France le nom de Mme d’Arnim. Quoi qu’on pense en définitive de cette