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DE L’ÉTAT DE LA POÉSIE EN ALLEMAGNE.

fondes ? Écrira-t-il ses Feuilles d’Automne ? M. Freiligrath semble avoir été frappé de cette idée ; il paraît chercher à sortir du cercle brillant, mais borné, où s’enfermait sa muse. Il a renoncé aux lions du désert, aux girafes du Nil, aux huttes des Cafres et des Hottentots ; il chante aujourd’hui sa patrie avec beaucoup de vivacité et d’amour. Si M. Grün et M. Lenau sont les écrivains les plus distingués de l’école autrichienne, M. Freiligrath est devenu le chef de ce qu’on a appelé l’école du Rhin. Plusieurs poètes qui donnent des espérances, M. Mazerath, M. Simrock, M. Schucking, se sont unis à lui, et ils s’efforcent de renouveler aujourd’hui dans leurs contrées natales ce qu’Uhland et ses disciples ont fait pour la Franconie et la Souabe. Dans un recueil, les Annales du Rhin, qu’il publie avec ses collaborateurs, M. Freiligrath essaie de consacrer par de nobles chants les souvenirs des ruines féodales et les traditions de l’esprit germanique. M. Mazerath, qui le suit dans cette direction, a été plusieurs fois inspiré assez heureusement, et l’habile traducteur du Parceval et du Titurel, M. Simrock, apporte à ses amis le secours d’une érudition très bien informée. Tout récemment enfin, M. Freiligrath a fait paraître un recueil de vers et de fragmens consacrés à la mémoire d’un poète vraiment distingué, Charles Immermann, que l’Allemagne a perdu il y a quelques années à peine. Charles Immermann, à qui une étude particulière serait bien due, continuait avec originalité cette haute poésie qui a honoré l’Allemagne à l’époque de Goethe et de Schiller. Hardi et énergique dans la Tragédie du Tyrol, il avait montré dans son poème de Merlin une élévation souvent obscure, mais pleine d’éclairs sublimes. La piété reconnaissante que M. Freiligrath vient de lui témoigner, le religieux empressement de ses hommages, semblent révéler chez le jeune poète des tentatives plus sévères et la légitime ambition d’atteindre à un sommet plus élevé de son art. Certes, ce n’est pas nous qui l’en détournerons : nos vœux le suivent dans cette route nouvelle ; mais qu’il y prenne garde, que ce développement chez lui soit naturel, qu’il se défie de sa facilité trop grande à imiter, qu’il attende et se prépare à profiter de l’inspiration sans lui faire violence en l’appelant trop tôt. Il vaudrait mieux pour lui demeurer ce qu’il a été, un ciseleur très habile, un coloriste éclatant, que de succomber, comme M. Lenau, sous des prétentions qui ne seraient pas justifiées. Il y a, chez M. Freiligrath, à côté des coquetteries et des caprices, quelques promesses de poésie sérieuse, souvent même une inspiration élevée qui, en se développant, lui peut ouvrir des horizons plus nobles. C’est à cela qu’il doit