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DE L’ÉTAT DE LA POÉSIE EN ALLEMAGNE.

taines, M. Freiligrath, comme l’auteur des Orientales, revient toujours vers la grande figure de l’empereur, et, comme lui, il l’a placée au milieu de son œuvre :

In medio mihi Cæsar erit templumque tenebit.

Mais il a su renouveler ce qu’il imitait, il a su porter dans ces tableaux éclatans une certaine émotion qui lui est propre, soit qu’après 1830, au moment où le drapeau de la France nouvelle flotte sur les murs d’Alger, le vieux scheik du Sinaï se fasse porter devant sa tente pour interroger la caravane et savoir si Napoléon est revenu, soit que Bonaparte s’endorme au bivouac, et que, tandis qu’il repose, des gardes silencieux viennent veiller à ses côtés. Murat, Kléber, dormez ! voici des sentinelles, auprès du jeune général. Qui sont-ils ? d’où viennent-ils ? Celui-ci est mort, au milieu du désert, dans l’armée de Cambyse, celui-là sous Alexandre, cet autre sous César. Les héros du monde antique envoient leurs morts au nouveau maître du monde pour qu’ils le gardent pendant son sommeil. Est-ce un avertissement sinistre ? est-ce un témoignage de gloire ? L’auteur ne le dit pas, et cette incertitude ajoute encore à ce qu’il y a de mystérieux dans le tableau qu’il a tracé.

On ne peut nier que M. Freiligrath n’atteigne souvent à une verve remarquable dans ses scènes du désert ; quand il ne se contente pas de peindre, de rassembler de vives couleurs, quand il veut, sous ces formes brillantes, mettre une intention, une pensée, son imagination, contenue et guidée, est toujours plus heureuse. Der Wecker in der Wüste (littéralement le réveilleur dans le désert) est une de ces pièces qui ont signalé le jeune poète à l’attention de la critique. Au bord du Nil, le lion royal a rugi, et son rugissement a retenti jusqu’au bout du désert. La panthère, le chameau, le crocodile, ont tremblé, et du fond d’une pyramide une momie de roi se réveille. Il se rappelle le temps où il régnait sur cet empire, le temps où devant lui se courbaient les enfans de l’Égypte, où le Nil était son sujet fidèle. À ces mots, le lion devient muet, et dès qu’il s’est tu, le vieux roi se rendort. Ces vives images, ces apparitions bizarres au milieu de l’infinie solitude, ces relations secrètes entre le rugissement souverain du lion et le vieux roi des siècles écoulés, voilà, d’après un seul exemple, quelles sont les principales ressources de la poésie de M. Freiligrath, et l’espèce d’impression qu’il sait produire. Quelquefois, mais rarement, cette poésie prend un caractère plus personnel et il lui arrive de laisser échapper un cri de l’ame. J’aime