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DE L’ÉTAT DE LA POÉSIE EN ALLEMAGNE.

l’éclat des vers de M. Hugo. Ainsi dans la Course du Lion. — À l’heure où le Hottentot dort dans sa butte, à l’heure où la gazelle et la girafe vont boire aux eaux du fleuve, le roi du désert, couché dans les roseaux, s’élance en rugissant sur la girafe tremblante. Étrange et formidable cavalier ! Il enfonce ses ongles dans les flancs de sa royale monture, et sur son col incliné il laisse flotter sa jaune crinière. La girafe pousse un cri de douleur, et s’enfuit plus rapide que le vent. Elle emporte avec elle une colonne de sable qui la suit comme un esprit du désert. Le vautour, la hyène, la panthère, lui font un sombre cortége, et sa trace est marquée des gouttes de son sang. Elle tombe enfin épuisée après avoir couru toute la nuit ; elle a franchi le désert tout entier, et là-bas le soleil se lève sur Madagascar. Voilà, dit le poète, comment le lion traverse son empire.

Il y a dans bien des peintures pareilles à celle-là une certaine énergie de pinceau. J’aime mieux pourtant M. Freiligrath dans d’autres pièces empreintes d’un caractère plus particulier, et où l’auteur cesse de rappeler trop directement M. Victor Hugo. Il a écrit une dizaine de ballades où sa manière se révèle plus vivement. J’entendais un jour un écrivain allemand, d’un esprit très ingénieux, comparer M. Freiligrath à celui de nos peintres qui sait si bien les couleurs de l’Asie, à M. Decamps. Ce rapprochement n’est pas tout-à-fait juste ; il y a sans doute chez M. Freiligrath bien des pages qui rappellent l’auteur de la Patrouille turque ; comme lui, M. Freiligrath connaît dans les rues de Smyrne ou d’Alep l’effet des ombres sur les murs blancs, et les couchers de soleil dans la solitude ; il connaît les intérieurs de la vie orientale et les immenses lignes jaunes du désert. Tous les animaux des zones brûlantes, dromadaires, girafes, crocodiles, sont à l’aise dans ses vers et s’y jouent volontiers : il me semble les voir sous cet ardent soleil, au milieu de cette puissante nature que M. Decamps reproduit sur sa toile ; mais où est l’esprit, la fine pensée du peintre français ? C’est le coloriste, et non l’observateur, que rappelle M. Freiligrath. Je citerai une de ces ballades :

LE PRINCE MAURE.

« Son armée se pressait dans la vallée des Palmiers ; autour de sa chevelure était roulé son châle de pourpre ; il portait sur ses épaules une peau de lion, et les frémissantes cymbales sonnaient la guerre.