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DE L’ÉTAT DE LA POÉSIE EN ALLEMAGNE.

vace du sentiment, cette franche inspiration qui jaillit, du fond du cœur. Il imite Uhland, Gustave Schwab, Charles Mayer : il préfère les sujets qu’ils ont traités, il chante comme eux le printemps, la nature ; seulement il voit toutes ces choses sous un aspect moins original, et sa pensée, facile et gracieuse, n’a point cette force, cette vigueur naturelle qui subjugue chez Uhland. Il y a un mot charmant de M. Villemain sur la poésie des troubadours, si agile, si légère, si prête à toute occasion, où l’on chercherait en vain toutefois l’énergique sentiment des trouvères : poésie tout à fleur d’ame, dit-il. L’inspiration de M. Lenau est aussi tout à fleur d’ame ; mais pourquoi n’y trouve-t-on pas ce qui nous dédommage chez les poètes méridionaux ? Pourquoi l’absence d’un sentiment profond n’est-elle pas cachée dans ses vers, comme dans les chansons et les villanelles du Midi, par l’élégance délicate et les vives nuances ? Au contraire, ce qui manque le plus chez M. Lenau, c’est le style ; on lui a souvent reproché des négligences singulières et surtout une certaine grossièreté d’expression qui vient trop souvent faire tache dans une page heureuse. M. Lenau occupe pourtant dans la poésie de son pays une place qui n’est pas sans honneur. Ses amis admirent chez lui une douceur mélancolique, une tristesse qui ne manque pas de charme. Parmi ses poésies lyriques, il y en a quelques-unes réellement belles : ce sont celles que lui a inspirées l’Amérique. Dans ses Atlantiques, dans ses Feuilles de Voyage, il y a plus d’une inspiration véritable, plus d’un accent qui ne s’oublie pas. Ainsi le chant des Filles de la mer, les vers brillans dont il a salué la cataracte du Niagara, la belle pièce intitulée la Forêt vierge, et ces mélancoliques méditations au bord d’un gouffre, dans la forêt dépouillée :

« Où sont les fleurs qui couvraient les branches de la forêt ? où sont les oiseaux qui y chantaient si gaiement ? Les fleurs et les oiseaux sont depuis long-temps partis. La forêt maintenant est abandonnée et dépouillée. Ainsi bientôt, peut-être, se seront fanées aussi les belles fleurs de pressentiment qui fleurissent dans mon ame ; et quand la sève de la vie se sera desséchée en moi, alors mes oiseaux aussi, mes chansons, prendront leur vol. Je serai silencieux et mort comme cet arbre. Le printemps de mon ame aura été comme le sien, un rêve. Lorsque cet arbre, dont le feuillage est aujourd’hui dans la poussière, s’élançait vers la lumière adorée, lorsqu’il lui tendait ses bras, lorsque chacune de ses feuilles tremblait vers le ciel, lorsqu’au printemps il répandait dans les airs ses doux et vivifians parfums, sa belle existence ne paraissait-elle pas digne de durée, et maintenant qu’il est mort, mérite-t-il moins de regrets que ma pensée, qui se croit éternelle, ou que mon ame,