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nature bienveillante ; leur abord est plein de cordialité, leurs offres sincères. Ils sortent de leur indolence habituelle dès qu’un hôte leur arrive, et rien ne leur coûte pour faire dignement les honneurs de leur maison. Plusieurs d’entre eux poussent même le sentiment de l’hospitalité jusqu’à l’héroïsme : ils sacrifieraient leur vie pour sauver celle de l’homme qui est venu chercher un asile sous leur toit protecteur. Autant ils se montrent fermes dans le dévouement, autant ils sont implacables dans la haine. Les a-t-on offensés ? ils ne l’oublient jamais, et poursuivent leur vengeance avec une ténacité qu’aucune considération ne saurait fléchir. Ces inimitiés se transmettent de génération en génération. La veuve d’un homme assassiné conserve la chemise ensanglantée de son mari et la déploie de temps en temps devant ses enfans pour entretenir leur haine contre ceux qui ont mangé leur père. Le fils qui manquerait à tirer vengeance d’un pareil meurtre, qui n’accepterait pas cet héritage de haine, serait méprisé dans le pays et flétri du nom de pigeon. Ce n’est pas par un franc défi qu’il peut se venger. Le duel est inconnu en Sardaigne. Il faut qu’à son tour il devienne assassin. Dès l’enfance, sa mère l’a instruit à tirer ce long fusil d’étroit calibre qui reçoit une balle dont la grosseur n’excède pas celle d’un pois ordinaire. Habitué à frapper à coup sûr une petite pièce de monnaie placée à quarante pas, il se tapit dans les buissons pendant des jours entiers, épiant le passage du meurtrier de son père. Quand sa vengeance est accomplie, il s’enfuit dans les montagnes, et va se joindre à quelque troupe de bandits.

Ce point d’honneur est le trait distinctif du caractère sarde. On peut en déplorer les suites funestes, mais il est difficile de refuser quelque sympathie à cette nature mâle et vigoureuse, qui offre à coup sûr plus de ressources pour le bien qu’un sang tiède et appauvri. Les passions farouches d’un tel peuple cachent la loyauté et l’énergie : c’est une rouille sous laquelle on découvre un acier bien trempé. On doit mettre d’ailleurs quelque différence entre les vendette de la Sardaigne et les assassinats des rues de Naples. Les vendette ont leurs embuscades et leurs surprises, mais elles débutent presque toujours par une franche déclaration de guerre ; l’escopette frappe dans l’ombre comme le stylet, mais elle ne frappe d’ordinaire qu’un homme mis sur ses gardes par une offense ou commise ou reçue. C’est une vengeance qui n’adopte pas de champ-clos, qui ne veut pas de témoins, à laquelle toute heure et tout moyen conviennent ; c’est une sombre et impitoyable vengeance qui se plaît à une férocité dont les détails font souvent frémir ; ce n’est pas un meurtre