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LA SARDAIGNE.

La pêche du corail, moins abondante que sur les côtes d’Afrique, est entièrement abandonnée aux Siciliens et aux Génois. Les bancs de corail actuellement exploités sont ceux qui se trouvent à la hauteur d’Alghero, ou à quelques milles à l’ouest de l’île de Saint-Pierre. Outre les pêcheries du littoral, les étangs d’Oristano, de Cagliari et de Porto-Pino, dans le golfe de Palmas, fournissent une grande quantité de mulets, dont les œufs, salés et soumis à une forte pression, se vendent sous le nom de bottarghe, et sont une grande ressource pour le temps du carême.

III.

Avec nos habitudes d’économie rapace, avec notre instinct spéculateur, nous avons peine à comprendre qu’un pays si fécond en ressources ne devienne pas l’objet d’une exploitation active ; mais l’habitant de la Sardaigne, le campagnard surtout, satisfait de son sort et fier de lui-même, ne s’est pas encore enthousiasmé pour les sublimes doctrines du progrès matériel. C’est un homme d’un autre genre qui se présente encore à l’observateur avec une physionomie étrange remplie d’attrait et de poésie. Monté sur un cheval plein de feu, avec son long fusil sur l’arçon de sa selle, il rappelle bien plus le klephte de l’Albanie que l’industrieux laboureur de nos contrées. D’une taille moyenne, mais bien proportionnée, il a le teint brun, des yeux noirs très vifs, la bouche généralement grande et les lèvres épaisses. Inculte comme on l’a laissé, il a conservé une imagination prompte, un tour d’esprit naïvement poétique et un attachement enthousiaste pour son pays.

Une sorte de quiétude indolente semble le caractère distinctif de la classe inférieure. Au milieu de ces terribles marais que désole l’intempérie, vous verrez souvent le berger sarde tranquillement assis et impassible sous la morsure d’un soleil dévorant. Vous retrouverez involontairement dans votre mémoire quelque souvenir de la muse antique, à l’aspect de ce Tityre sauvage qui, les joues gonflées, emplit de son souffle un triple roseau sonore. Cet instrument est la launedda, composée de trois flûtes inégales, tibiæ impares, orchestre rustique qui résonne au milieu des joncs et rappelle au troupeau les brebis éloignées. L’existence casanière de la classe moyenne est douce et monotone. Au curé de village, au modeste médecin, au petit propriétaire, il suffit d’une maisonnette bien blanche, précédée