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LA SARDAIGNE.

Les grandes pêcheries de la Sardaigne sont très productives ; leur exportation annuelle a été évaluée à la somme approximative de 1,800,000 francs. Les plus importantes ont pour but la pêche du thon. Elles sont en grand nombre sur la côte occidentale de la Sardaigne. La première thonnare ou madrague est celle des salines près de l’île d’Asinara. Il faut ensuite descendre vers le sud, jusqu’au-delà du golfe d’Oristano, pour trouver la thonnare de Flumentargiù, à six milles au sud du cap de la Frasca ; celle de Porto-Paglia, à vingt-cinq milles plus bas ; celle de Porto-Scuso, à l’entrée même de la baie de Saint-Pierre, et enfin celle de l’île Plane, à la pointe nord-est de l’île Saint-Pierre. Quelques autres thonnares ont été récemment abandonnées. L’établissement de ces pêcheries en Sardaigne remonte au XVIe siècle. On en fut redevable à un simple marchand nommé Pierre Porta, qui y consacra sa fortune. On prétend qu’après l’abandon des madragues de la côte d’Espagne et de Portugal, occasionné par le tremblement de terre de Lisbonne, à la suite duquel les thons parurent changer leur itinéraire, les thonnares de la Sardaigne, héritières des thonnares espagnoles et portugaises, prirent jusqu’à cinquante mille thons par année. Ce nombre a bien diminué aujourd’hui. Le chiffre de onze mille têtes environ représente la moyenne de plusieurs années ; mais les chances varient considérablement d’une année à l’autre. Plus qu’aucune autre pêche, celle des thons est une loterie : elle a ruiné bien des spéculateurs. De tous les avantages qu’elle présente, le plus certain est d’offrir à la population pauvre une lucrative occupation.

Ce fut pendant nos courses à Porto-Scuso que nous recueillîmes d’assez curieux détails sur l’industrieuse exploitation des madragues, le périodique passage des thons, et leur inconcevable stupidité. Au pied des falaises du cap Altano, un câble en sparterie, tendu perpendiculairement à la côte jusqu’à une distance de trois à quatre cents mètres, soutient un énorme filet qui traîne jusqu’au fond. De nombreuses et fortes ancres l’assujettissent des deux côtés ; des plateaux de liége le font flotter à la surface. La dernière ancre est quelquefois mouillée par une profondeur de trente ou quarante brasses. À l’extrémité de ce câble, et perpendiculaires à sa direction, se trouvent établis les filets de la madrague : ils forment plusieurs chambres dont la dernière est composée de solides mailles de chanvre.

Quand les thons, dans leurs pérégrinations périodiques, ont passé le détroit de Gibraltar, ils se divisent en deux bandes, dont l’une