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désiraient mettre le feu à leur terrain devaient, d’après le code, dès le 29 juin, jour de la Saint-Pierre, former autour de ce terrain un cercle dégagé d’herbes et de buissons, afin d’empêcher l’incendie de se propager. Je ne pense pas que ces sages prescriptions aient été abrogées ; mais soit défaut de surveillance, soit insuffisance, le mal qu’elles tendaient à prévenir n’en a pas moins continué de faire de désastreux progrès.

Malheureusement, dans cette île où les pâturages naturels sont si abondans, on ignore complètement l’art de se procurer des fourrages secs pour l’hiver. Dès le mois de juillet, les herbes sèchent sur pied, et c’est pour obtenir ce misérable regain, rendu indispensable par le défaut d’industrie, que le feu est mis aux herbes et aux broussailles. Le bois est devenu excessivement rare dans la plupart des districts cultivés, et surtout dans le campidano de Cagliari. Le charbon y remplace le bois, que le défaut de routes empêche de faire venir des vastes forêts du centre. L’industrie des charbonniers, qui n’est soumise à aucune surveillance, contribue beaucoup au déboisement du littoral. J’éprouvais je ne sais quel sentiment de vague tristesse en voyant les bûcherons de Carbonara tondre à leur gré la montagne, et changer en désert un site verdoyant. Comme la touffe de cheveux que le guerrier indien conserve au sommet de sa tête chauve, quelques bouquets d’arbres, sauvés de cette dévastation par leur éloignement de la mer, témoignaient encore, sur les cimes élevées, quelle vigoureuse végétation eût couvert ces rochers, sans la funeste incurie du gouvernement.

Les troupeaux de mérinos ont ruiné, dit-on, l’agriculture en Espagne. Les chèvres et les brebis qui couvrent la surface de la Sardaigne n’y ont pas été moins funestes à la prospérité agricole du pays. Long-temps, on a méconnu avec une fatale obstination la véritable richesse du sol, et on a sacrifié les cultivateurs aux bergers. Avant un décret qui ne date que de 1820, tous les terrains qui n’étaient point entourés d’une haie ou de murs étaient divisés par une ligne idéale en deux ou plusieurs régions. Une seule de ces régions était destinée chaque année à être ensemencée, l’autre restait inculte et était affectée à la pâture des troupeaux. Les terres de la région destinée à la culture étaient alors réparties entre ceux qui se présentaient pour la cultiver, ce qui s’exécutait par la voie du sort, ou par élection du propriétaire, quand elles appartenaient à des particuliers. L’année suivante, on mettait en culture la région laissée en friche, et ainsi de suite, successivement ; les terres même