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LA SARDAIGNE.

qu’un œil, ils eussent fait au besoin une énergique résistance. Ce ne fut pas avec une force plus considérable que l’alcaïde Sébastien Milis repoussa les Turcs qui vinrent l’attaquer, en 1812, dans la tour de saint-Jean de Salara, sur la côte de l’est. Il n’avait avec lui que son fils et un simple canonnier. Son fils tomba mort près de lui, son compagnon fut grièvement blessé. Atteint lui-même par le feu de l’ennemi, il n’en continua pas moins à combattre. Au bout de dix heures seulement, l’arrivée des habitans des villages voisins vint mettre fin à cette lutte inégale.

La garnison de Teulada, j’aime à le croire, malgré son aspect misérable, aurait eu aussi son Mazagran, si les Turcs l’avaient mise à l’épreuve. Ce n’était pas votre faute, vaillans torrari, si l’affût de votre unique canon n’existait plus. Tout ce qu’on pouvait faire, vous le faisiez. Une barque n’approchait pas sans que vous fissiez retentir, pour l’interroger, votre énorme porte-voix en ferblanc. S’il arrivait que cette barque, forcée de chercher un refuge contre le mauvais temps, ne fût pas un bateau de pêche, exempt pour cela seul de tout droit, il fallait qu’elle fût bien habile pour se dérober au paiement des droits d’ancrage. Vous n’hésitiez pas au besoin à risquer une sortie ; quand c’était à un brick ou à un trois-mâts que vous aviez affaire, après les trois sommations au porte-voix, venait un coup de canon poudre ; puis un boulet suivait, atteignant Dieu sait où ! Les Napolitains, les Génois, se laissaient quelquefois intimider, et se rendaient à terre afin d’acquitter le tribut dont une partie entrait pour beaucoup dans les émolumens de vos nobles fonctions ; quant aux Grecs, je le dis à regret, ils se moquaient de vous, les maudits, et vous eussiez épuisé vos munitions avant de les décider à sortir un talari de leur escarcelle.

Rien ne prouve mieux la terreur qu’inspirèrent long-temps les pirates que la présence de ces tours sur toutes les côtes exposées à leurs incursions. Les traces laissées en Sardaigne par les dernières apparitions des Maures sont encore saignantes. En 1798, six bâtimens tunisiens mouillèrent pendant la nuit dans la baie de Saint-Pierre ; au point du jour, ils débarquèrent sur la plage environ deux mille hommes. La tour Vittorio fut prise sans coup férir, et la ville livrée au pillage. Une partie des habitans s’enfuit dans les montagnes. Huit cent cinquante personnes, hommes, femmes et enfans, furent emmenées à Tunis, et y restèrent jusqu’en 1815. Le gouvernement sarde parvint alors à traiter de leur rançon. Un dernier coup de main fut tenté en 1816, avec un égal succès. Les Tunisiens débarquèrent dans le