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LA SARDAIGNE.

Pierre. Cette communication d’un si grand intérêt et si facile à entretenir est tellement négligée cependant, que, pour passer d’un golfe à l’autre, il faut traîner les plus légers bateaux plats sur le sable et leur faire franchir à force de bras un espace de trois à quatre cents mètres. Nos pauvres canotiers, forcés de traîner ainsi presque tous les jours nos lourdes embarcations, faisaient comprendre le miracle opéré par Mahomet II, qui fit traverser une vallée à sa flotte pendant le siége de Constantinople. Tout n’était pas fini quand le pont était passé : le canal était si étroit, si tortueux pendant plusieurs milles, que, s’il nous arrivait de nous laisser surprendre en route par la nuit, nous tombions dans des difficultés inextricables. Nous étions arrêtés à chaque pas par des bancs d’herbe ou de sable. Notre position ne faisait que s’aggraver par des infructueuses tentatives. Il nous est arrivé de passer des heures entières dans ces perplexités, nous demandant de quelle incurie on avait ainsi laissé se combler un canal qui conduisait autrefois les galères de Rome aux quais de Sulcis.

Ces quais, dont les débris bordent encore la côte, indiqueraient à eux seuls l’existence d’une grande ville sur l’emplacement même ou s’élève le village de Saint-Antioche. Sulcis était en effet si riche à l’époque de la ruineuse visite que César rendit à la Sardaigne, qu’elle put être condamnée à payer, outre une forte contribution en blé, la somme de cent mille sesterces, en expiation de l’attachement qu’elle avait montré au parti de Pompée. Des médailles et des vases sont fréquemment trouvés au milieu de ses ruines. Nous fûmes même témoins des fouilles exécutées devant le vice-roi. Au pied d’un rocher de porphyre, on découvrit toute une nécropole d’urnes funéraires juxtaposées, et contenant des cendres et des os à demi-consumés. Cette violation des tombeaux séculaires fut peu profitable : on trouva bien quelques bas-reliefs de médiocre valeur, mais les urnes funéraires ne contenaient ni médailles ni anneaux d’or ou d’argent Elles ne renfermaient que de tristes restes de l’espèce humaine, réduits à leur plus simple expression. Il y a une sorte de prescription pour le respect qu’on accorde aux morts. Tous ces paysans, qui eussent cru commettre un sacrilége s’ils avaient seulement marché sur une tombe fermée depuis vingt ans, piochaient sans remords parmi ces sépultures antiques, et jetaient au vent les cendres romaines ou carthaginoises qui y avaient reposé pendant tant de siècles.

En considérant l’importance de la Sardaigne, comme position