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elle ne manqua pas de frapper, comme nous, le capitaine Smyth, pendant le séjour qu’il fit à Cagliari. Une autre habitude bizarre donne à la ville un singulier air de fête : des bannières flottent dans toutes les rues ; d’un côté à l’autre, des cordes sont tendues pour les recevoir ; on se croirait à l’entrée d’Henri IV à Paris : c’est tout simplement qu’à Cagliari chacun lave son linge sale en famille et le fait sécher en public.

Ce qu’il y a peut-être de plus remarquable dans la capitale de la Sardaigne, c’est la magnifique promenade créée récemment dans l’enceinte même de la ville, au pied des escarpemens qui terminent le château à l’est. Chaque soir, pendant l’été, quand le soleil commence à disparaître derrière les crêtes du monte Arcusosù, qui domine le village de Capo-Terra, on est certain de trouver réunie sur cette promenade toute la société de Cagliari. Là, du même coup d’œil, vous pouvez embrasser et la population et le pays sous leurs divers aspects. Dans la foule, où brillent ces yeux noirs pleins de feu qui se cachent à demi sous le voile de blonde ou la cape catalane, vous reconnaissez, mêlés aux gracieux uniformes des carabiniers ou des chasseurs-gardes, le collettù de cuir des bouchers de Cagliari, les bas violets des chanoines et le froc des capucins ; en même temps, vous voyez s’étendre devant vous le vaste golfe qui s’ouvre de Pula à Carbonara. À vos pieds, l’industrieux faubourg de Villa-Nova résonne encore du bruit des marteaux et des enclumes, et dans les champs fertiles qui forment le Campidano de Cagliari, huit clochers signalent les gracieux villages qui enrichissent la plaine, depuis l’étang de Molentargiù jusqu’au pied des montagnes granitiques de Sarpeddi.

Plus d’une fois nous eûmes occasion d’admirer cette belle plaine de Cagliari, plantée d’oliviers et de vignes, couverte de splendides moissons, et découpée en nombreux enclos par des haies de cactus opuntia. Cette plaine vivace, qui étend ses grands bras épineux à cinq ou six pieds de distance du tronc principal, forme la meilleure de toutes les clôtures. Originaire de l’Afrique, et se propageant avec une activité merveilleuse dans tous les lieux où le climat la favorise, elle donne aux campagnes de la Sardaigne une physionomie toute moresque, qui les ferait aisément confondre avec les environs de Tunis ou d’Alger. Ses fruits, appelés figues de Barbarie, quoiqu’un peu secs et filandreux, sont d’un goût agréable ; ses feuilles épaisses et charnues servent, pendant une partie de l’automne, de nourriture