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SAINT-GILES.

sa probité. Il semble que ce soit une nature forte ; mais, sans lest et ressort, quand elle commence à descendre, elle ne s’arrête qu’au fond de l’abîme, d’où elle ne remonte plus. Les races méridionales portent la débauche avec une sorte d’aisance et comme un effet du climat ; dans les contrées du Nord, de pareils excès sont tellement contre nature, que les malheureux qui s’y abandonnent tombent dans la brutalité la plus abjecte et perdent bientôt tout ce qu’ils avaient d’humain. D’ailleurs la moralité en Angleterre tient beaucoup plus à la force des habitudes qu’à la fermeté des principes. La société enveloppe l’homme et surtout la femme d’une infinité de retranchemens qui servent d’appuis à sa vertu et qui l’empêchent de faillir ; mais aussi, une fois sortie de ces lignes de défense, elle se trouve sans support, et, l’occasion venant à l’attaquer, elle devient une proie certaine. Elle succombe sous le poids de ces ailes de plomb que Milton donne aux anges rebelles et déchus.

Après la misère vient la prostitution, et après la prostitution le crime ; ce n’est pas la partie la moins lugubre du sujet. On connaît le budget criminel du département de la Seine : dix-huit cents à deux mille libérés[1] forment le noyau de cette brigade de malfaiteurs qui est perpétuellement à l’état d’agression contre les personnes et contre les propriétés ; la population moyenne des prisons comprend cinq mille détenus ; sans compter les prostituées, la police opère chaque année dix-sept à dix-huit mille arrestations ; enfin, les tribunaux condamnent annuellement à la mort, aux travaux forcés ou à l’emprisonnement, 6,500 à 7,000 individus. La population de la Seine étant d’environ 1,300,000 habitans, il y a donc un individu arrêté sur 72, et une condamnation sur 185. Cette proportion, déjà bien assez effrayante, n’est rien auprès de celle que présente la capitale du royaume-uni.

Au commencement du siècle, Colqu’houn, voulant expliquer l’accroissement déjà rapide qui se faisait sentir dans le nombre des délits, supposait que, depuis la révolution française, Londres était devenu le rendez-vous de tous les scélérats et de tous les escrocs du continent. « Paris étant ruiné, disait cet auteur, la noblesse bannie et la plus grande partie des propriétés mobilières anéanties, les fripons et les escrocs n’y ont plus les mêmes ressources qu’auparavant, et d’ailleurs cette ville n’a plus les attraits qu’elle avait autrefois. L’ignorance de la langue anglaise, qui était pour nous une espèce de

  1. 1,867 libérés du bagne ou des prisons en 1836.