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SAINT-GILES.

La prostitution des jeunes filles n’est pas toujours imputable en Angleterre à l’avidité de quelque mère dénaturée. Ce qui frappe au contraire en lisant les récits des procès correctionnels, c’est la parfaite spontanéité de ces penchans vicieux dans la plupart des sujets. On y voit une prostituée à peine âgée de treize ans, qui, pour déjouer la surveillance de son père, l’accuse elle-même devant le jury[1] de l’avoir violée ; d’autres, dans un âge encore plus tendre, servent d’appât pour attirer et pour pervertir les jeunes garçons dont les voleurs émérites font leurs instrumens. Mais je préfère insister sur un récit qui donne une idée plus complète de cette perversité de serre-chaude, en montrant qu’aucun vice ne lui est étranger.

La scène se passe au bureau de Queen Square, le 14 décembre 1842. Deux jeunes filles, Marguerite Haggarty et Marie Hanton, sont prévenues d’avoir cherché à extorquer de l’argent à un honnête marchand, M. Perkins. Le plaignant déclare que la veille, dans la soirée, comme il traversait le pont de Westminster, Haggarty s’approcha de lui et lui demanda l’aumône de quelques pence. Il refusa, mais la jeune fille insista et le suivit en l’importunant. Un moment, il l’avait perdue de vue, lorsqu’à l’entrée du cimetière de Sainte-Marguerite elle l’aborda de nouveau, à sa grande surprise, et mit la main sur lui, l’accusant d’avoir pris avec elle certaines libertés. Au même instant, elle poussa un cri qui fut le signal de l’apparition de Hanton et de quatre autres qui l’entourèrent en le menaçant. Hanton particulièrement se mit à pleurer, prétendant que sa sœur avait été insultée, et, se saisissant d’une grosse pierre, elle jura qu’elle écraserait la tête au plaignant, à moins qu’il ne lui donnât de l’argent. M. Perkins les arrêta l’une et l’autre, et, un agent de police survenant, il les fit conduire à la station. Pendant ce temps-là, leurs complices s’étaient esquivées. — Le magistrat, M. Bond, demande si l’on sait quelque chose des antécédens de ces jeunes filles. L’inspecteur, M. Bareford, répond qu’il les connaît bien, et qu’elles lui avaient déjà donné de l’embarras un an auparavant. Il les avait trouvées rôdant le long des rues, et les avait renvoyées à leurs parens, qui étaient d’honnêtes ouvriers vivant à l’autre extrémité de la ville ; mais elles avaient bientôt quitté la maison paternelle pour retourner à leurs habitudes vicieuses. Ce matin même, elles lui ont avoué que depuis plusieurs mois elles vivaient de la prostitution. L’inspecteur ajoute qu’ayant reçu d’autres plaintes du même genre, il avait donné

  1. Crown-Court, 7 august 1842.