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termes et peut-être aussi le courage me manqueraient pour de tels rapprochemens ; mais, en se référant aux ouvrages et aux documens qui ont été publiés sur cette grave question, je crois que l’on est en droit de conclure que la prostitution en Angleterre présente généralement un caractère plus repoussant, qu’elle commence dans un âge plus tendre, et qu’elle a des relations plus étroites avec les crimes ainsi qu’avec les délits.

Parent-Duchâtelet, dans ses consciencieuses recherches, a constaté que, sur 3,248 filles publiques inscrites, 196 étaient âgées de dix à seize ans à l’époque de leur inscription. C’est la proportion déjà très remarquable de 6 sur 100. À Londres et dans la Grande-Bretagne, cette précocité du vice existe et se propage sur une bien plus grande échelle. Voici ce qu’on lit dans l’adresse publiée par la société qui a pour objet de protéger les jeunes filles et de les arracher à la prostitution : « Dans les trois hôpitaux les plus considérables de Londres, et en huit années, il ne s’est pas présenté moins de 2,700 enfans de onze à seize ans infectés d’une maladie honteuse. » Deux mille sept cents enfans visités par cette horrible peste avant l’age de la puberté ! Le vice et la maladie venant gangréner tant d’existences, avant que la raison ait pu se développer dans la pensée et la vigueur dans le corps ! Quel spectacle que celui-là pour un peuple qui a des entrailles ! et comment éprouver assez de pitié pour les victimes, assez d’indignation pour les bourreaux ?

On n’a pas oublié un procès qui déroulait, il y a quelques mois à peine, devant le tribunal correctionnel de Paris, des scènes jusque-là sans exemple en France. Une mère, spéculant sur les agrémens de sa fille, l’avait livrée à la prostitution dès l’age de douze ans ; et comme l’enfant résistait, avertie par un dégoût qui n’était que l’instinct du devoir, l’abominable mégère lui avait cassé deux dents. L’histoire de la femme Éon est une histoire assez commune de l’autre côté du détroit. Écoutons le témoignage d’un missionnaire expérimenté, M. Logan : « Dans un de nos hôpitaux, je rencontrai cinq jeunes filles qui souffraient d’un mal honteux, à l’âge, l’une de treize ans, l’autre de douze, la troisième de onze, la quatrième de neuf, et la cinquième de huit. La mère de celle-ci était dans l’hôpital, attaquée de la même maladie. Trois de ces jeunes filles avaient été séduites dans la maison de leur mère, et ce n’était pas par des enfans[1]. »

  1. An Exposure of female prostitution, by W. Logan, City missionnary.