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pêle-mêle la nuit au milieu des parcs, où elles pourrissent littéralement dans le besoin, dans la fange et dans la maladie.

Quel trait ajouter à cette affreuse peinture ? À Londres, au milieu des quartiers les plus opulens, sous les fenêtres du duc de Wellington, et à quelques pas du palais qu’habite la reine, les sujets de Victoria viennent par bandes, et comme des parias chassés de leur caste se coucher, par une nuit d’octobre, sur la terre humide, sans autre abri que les arbres du parc ! La police de la métropole, cette police modèle, si attentive à protéger le gentleman qui marche bien vêtu, sa maison et sa famille, ne s’aperçoit qu’au bout de quelques mois qu’il y a dans quelque trou de Hyde-Park des malheureux qui meurent de faim et de froid ! Puis, quand on les amène devant le magistrat, il se trouve que cette civilisation si complète, si puissante et si riche n’a pas d’autre moyen de leur témoigner son humanité que de les mettre au régime des malfaiteurs, un régime que les pauvres envient !

Dans les grandes villes de l’Écosse, on n’a pas à rougir de pareilles scènes ; à Édimbourg, à Glasgow, la charité privée corrige sur ce point l’imprévoyance de la loi. Par les soins d’une association qui se compose principalement de commerçans, un asile s’ouvre chaque soir pour abriter les malheureux qui sont hors d’état de payer les 3 ou 4 pence qu’il en coûte par nuit pour coucher dans quelque maison garnie, sur un grabat. On interroge les arrivans, afin de connaître leur profession et leurs moyens d’existence, et, pourvu qu’ils ne soient pas en état d’ivresse, on les admet. Avant l’heure du repos, ils reçoivent un morceau de pain et un plat de gruau (porridge). À onze heures, les portes de la maison étant fermées, la prière se fait en commun ; puis les hommes vont dans un appartement, et les femmes dans un autre, dormir enveloppés dans une couverture sur le lit de camp. Le lendemain, on leur donne en les congédiant un morceau de pain ; quelquefois la société s’emploie pour obtenir le passage gratuit sur un bateau à vapeur à ceux qui veulent rentrer dans leurs foyers. Rarement les mêmes personnes sont hébergées pendant plus de deux jours ; on craindrait d’offrir une prime à l’oisiveté. Les deux asiles d’Édimbourg ont secouru plus de vingt mille personnes en 1841 ; vingt-cinq mille personnes ont été admises dans celui de Glasgow.

L’utilité d’une ou de plusieurs institutions semblables se fait particulièrement sentir dans des capitales aussi vastes et aussi peuplées que Londres et Paris. Combien de malheureux ne sauverait-on pas