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SAINT-GILES.

Au reste, Saint-Giles n’est pas seulement le siége de la truanderie dans la métropole ; c’est encore pour ainsi dire le quartier-général du vol pour le royaume-uni tout entier. Depuis que la police devient plus efficace dans les villes principales, les malfaiteurs se rabattent sur les campagnes et sur les petites cités. Tous les documens que l’administration a recueillis[1] s’accordent sur ce point, que les vols avec effraction et généralement les crimes les plus hardis sont l’œuvre des bandits qui résident à Londres, à Birmingham ou à Liverpool. Ceux-ci conçoivent un vol comme une opération de commerce ; ils se jettent dans un bateau à vapeur ou montent dans un train de chemin de fer, exécutent leurs plans à point nommé, et rentrent ensuite paisiblement dans leurs foyers, le plus souvent sans laisser de traces qui révèlent les auteurs de l’expédition.

Tous les gens sans aveu qui peuplent Londres n’ont pas sans doute élu domicile dans les environs de Drury-Lane et de Covent-Garden : le nombre en est trop grand et la ville trop étendue, pour que cette fange n’ait pas laissé ailleurs des dépôts ; mais on peut considérer Saint-Giles comme le type des réunions d’hommes qui se mettent en guerre, par un côté ou par un autre, avec les mœurs et avec les lois. Quels sont les effets de cette lutte sur l’économie de la société ? Londres a-t-il mieux résisté que les autres capitales de l’Europe aux élémens de dissolution que toute métropole renferme ? Cette partie de l’état moral d’un peuple que l’on induit des chiffres officiels de la misère et du crime, place-t-elle nos voisins au-dessus ou au-dessous de notre niveau ? Voilà ce que je me suis proposé de rechercher

Commençons par la misère, qui explique le reste. Il y a quelques années encore, Londres était beaucoup moins chargé de pauvres que le reste du royaume. On y rencontrait peu de mendians dans les rues, et les maisons de charité (work-houses), ces invalides des travailleurs, n’étaient pas remplies. La capitale de l’Angleterre, ville de commerce et d’entrepôt, marché ouvert au monde entier et rendez-vous de l’aristocratie la plus opulente, ne renfermait pas alors cette masse flottante d’ouvriers qu’un ralentissement dans la production peut affamer et jeter par milliers sur le pavé. Elle ne participait ni à la détresse invétérée des classes agricoles, ni aux brusques variations de l’existence dans les districts manufacturiers.

  1. First Report on constabulary force