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froid cette vaste combinaison de la monarchie absolue comme forme transitoire de la sociabilité humaine, et sachons la comprendre sans nous montrer indulgens et faciles pour les violences à l’aide desquelles elle fut fondée. Distinguons surtout entre l’application d’une grande pensée politique et les passions personnelles excitées par une situation constamment menacée ; n’oublions pas que, tandis que Richelieu faisait trembler l’Europe et la dominait par la puissance de ses plans et de ses armes, son sort semblait dépendre d’une manœuvre de la reine, d’une intrigue de Gaston, d’une conversation du père Caussin ou de Mlle de La Fayette. C’est dans un perpétuel contraste entre l’immensité de l’œuvre entreprise et les pieds d’argile du colosse qui s’y consacre que repose tout l’intérêt dramatique de cette vie puissante.

La reine-mère avait obtenu son entrée au conseil après la mort du connétable de Luynes, et la modération calculée avec laquelle elle sut user de ce droit important parut dissiper pour quelque temps les ombrageuses susceptibilités de son fils. L’admission de cette princesse au conseil impliquait l’entrée prochaine de Richelieu au ministère. Estimant l’évènement inévitable, le duc de la Vieuville voulut se donner près de la reine-mère le mérite de le déterminer. Depuis la mort du favori, le conseil de Louis XIII se composait d’hommes hors d’état d’exercer une influence personnelle sur la marche générale des affaires. Le président Jeannin avait été remplacé à la surintendance des finances par Schomberg, et cette charge importante se trouvait alors remplie par le marquis de la Vieuville. Loménie conservait à la maison du roi le poste qu’il occupait depuis le règne précédent ; d’Aligre, ancien président au parlement de Bretagne, tenait les sceaux ; enfin les affaires étrangères et la guerre, qui ne formèrent long-temps qu’un seul département, avaient passé, à la mort du marquis de Villeroy, à Brulart, fils du chancelier de Sillery. Plus tard, ce portefeuille fut subdivisé en trois grandes divisions, confiées à Phélippeaux, Loménie et Potier d’Ocquère. Ce fut dans cet état que Richelieu trouva le conseil lorsqu’il y fut appelé, à l’âge de trente-neuf ans, comme unique secrétaire d’état pour les affaires étrangères.

Le livre quinzième de ses Mémoires s’ouvre par un long exposé des motifs soumis au roi par Richelieu, pour lui faire agréer son refus lorsque ce prince lui eut annoncé ses bienveillantes intentions, et ce morceau n’est pas assurément le moins curieux de l’ouvrage. « Le cardinal se défendit autant qu’il lui fut possible par plusieurs