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raient à bon droit se montrer jaloux. « Je demandai au sieur de Luynes le plus adroitement qu’il me fut possible, pour ne lui déplaire pas, s’il ne me serait pas permis de voir la reine et que s’il lui plaisait me faire accorder cette grace, j’en userais assurément non pour aigrir, mais pour adoucir son esprit. » Cette faculté lui fut bientôt accordée avec une latitude plus grande qu’il ne l’aurait probablement voulue. Les nouveaux ministres ayant refusé de communiquer avec lui lorsqu’il se présenta la première fois au conseil, Richelieu comprit que la position n’était pas tenable à la cour, et se résolut, après mûres réflexions, à embrasser le rôle de martyr de la fidélité. Au moment où se dressait l’échafaud de la compagne chérie de Marie de Médicis, judiciairement égorgée comme sorcière et devineresse par des juges encore plus lâches qu’imbéciles ; pendant que les princes rebelles rentraient en triomphe dans ce Louvre si long-temps troublé par eux, Marie de Médicis, accompagnée d’un petit nombre de serviteurs, s’acheminait vers la ville de Blois, qu’un songe lui avait naguère indiquée comme lieu de son exil. « Au sortir de Paris, je l’accompagnai, recevant plus de consolation en la part que je prenais à son affliction, que je n’eusse pu en recevoir en la part que ses ennemis me voulurent faire de leurs biens. » Les faits permettent d’apprécier la portée de cette réflexion, fort affaiblie d’ailleurs par l’aveu qui la suit. « Je voulus avoir une permission expresse du roi par écrit, de peur qu’ils ne me rendissent puis après coupable de l’avoir suivie, et soutinssent que je l’avais fait de mon mouvement. »

Voilà de la prudence. Voici de la trahison, trahison discrète et savante qu’admirera sans doute l’école contemporaine qui s’est inclinée pendant cinquante ans devant la fortune d’un autre évêque-ministre, esprit politique sans système et sans vigueur, qui profita de tous les évènemens de son temps sans en dominer un seul, et qui sera dans l’histoire au cardinal Richelieu ce qu’est à un général qui a livré de grandes batailles le maraudeur qui dépouille les morts après le combat.

Devenu à Blois chef du conseil de la reine-mère, Richelieu entra aussitôt en correspondance avec le duc de Luynes, lui rendant un compte minutieux de tous les actes de la princesse, et se portant personnellement garant de sa conduite. Ce ne fut pas sans des peines infinies qu’il suffit pour quelque temps à ce double rôle. Contraint de témoigner à sa malheureuse maîtresse un dévouement d’autant plus absolu que le malheur engendre la défiance, obligé de se dé-