Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/353

Cette page a été validée par deux contributeurs.
347
LE CARDINAL DE RICHELIEU.

Voulant dissuader Condé d’une résolution qu’il estimait funeste aux intérêts de ses coreligionnaires, le duc de Rohan lui avait dit ces paroles. « La faible espérance d’enrichir votre maison et de tirer quelque argent des finances du roi ne devrait pas l’emporter sur ce grand nombre d’amis dont vous allez vous séparer, pensez-y sérieusement ; on travaille à vous faire perdre une occasion que vous ne retrouverez jamais. Vous allez vous placer entre les mains de la cour et à votre première démarche suspecte elle s’assurera d’un prince qui a déjà pris deux fois les armes[1]. » C’était prêcher la grande ambition à un homme qui n’était capable que de la petite. Rohan avait raison toutefois, et le chef de la conjuration aristocratique et protestante en fit bientôt la dure expérience. Après le traité de Loudun, Condé se crut maître du gouvernement et de la France, et fit peser sur la royauté un joug d’autant plus humiliant, qu’il lui contestait avec la même jalousie les apparences et les réalités du pouvoir. Plus recherché et plus suivi que le roi même, dit un écrit contemporain, sa maison rendait le Louvre désert[2]. Condé et ses acolytes ne furent pas plus tôt rentrés dans Paris, qu’ils reprirent, au sein du parlement, leurs intrigues accoutumées et lièrent des rapports secrets avec l’ambassadeur d’Angleterre et les agens des Provinces-Unies. L’insolente attitude du premier prince du sang réveilla promptement toutes les jalousies du jeune roi et toutes les terreurs de sa mère. Le chef de la branche de Condé aspirait-il à placer la couronne dans sa maison, et à réaliser dans une pensée aristocratique et protestante le grand dessein que les Guise avaient essayé naguère sous une inspiration bourgeoise et catholique ? Il est difficile de l’affirmer, plus difficile encore de le nier. Cependant, à voir le décousu de ses actes et la facilité avec laquelle il s’en laissait détourner par les soins les plus vulgaires, on peut juger qu’il échoua plutôt par l’incertitude que par la témérité de ses projets.

L’avidité l’avait déjà compromis, une haine aveugle allait le perdre. Il crut le moment venu de frapper un grand coup, et pensa que les antipathies populaires soulevées contre le maréchal d’Ancre mettaient les factions en mesure de le tenter. Ne pouvant plus douter, de son côté, qu’un attentat sur sa personne ne fût déjà résolu dans le conseil secret des princes, Concini suggéra à Marie, inquiétée dans ses affections, une résolution qu’un tel motif pouvait seul faire

  1. Mémoires de Rohan, t. II.
  2. Apologie pour leurs majestés après l’arrestation de M. le Prince, Paris,