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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

Ce fut un magnifique spectacle que celui de la noblesse française marquant les frontières de la patrie à la trace de son sang et les reculant par son épée. Soit que cette noblesse se ruine pour avoir le droit de se faire tuer au premier rang, et qu’elle se retire dans ses manoirs avec la croix de Saint-Louis et un pourpoint râpé, soit qu’elle vive dans les provinces dispensant populairement son opulence, elle reste l’honneur de notre histoire, comme elle fut si longtemps la vie même de la monarchie. Elle est glorieuse lorsqu’elle triomphe aux croisades comme lorsqu’elle succombe à Azincourt, et ne mérite pas moins de respect en combattant à cinq sous par jour sous les enseignes de Condé que lorsqu’aux mauvais temps de Louis XIV elle couvre de son corps le royaume, menacé par trois coalitions. Mais deux choses ont constamment manqué à cette brillante chevalerie, des chefs dignes de la conduire, et un esprit politique à la hauteur de son cœur. En France, les circonstances ont séparé l’aristocratie territoriale de la nation, tandis qu’en Angleterre elles se confondirent indissolublement l’une avec l’autre. Constamment dominée, aux époques décisives de l’histoire, par des princes de race royale, qui se posaient moins comme ses égaux que comme ses maîtres, l’aristocratie française a toujours été traînée à la remorque de leurs desseins particuliers, sans pouvoir jamais tracer ni suivre un systématique plan de conduite. Pas de lutte nationale aux champs glorieux de Runnimède, pas de magna carta et de charte des forêts, de statuts de Merton et de Marlebridge, pour rallier dans une même pensée de liberté les bourgeois et les gentilshommes, les seigneurs et les vassaux : chez nous, les grands combattirent toujours la royauté pour leur propre intérêt, et ne mirent jamais le peuple en compte à demi dans leurs querelles ; tels on les voit au Xe siècle, et tels ils reparaissent à l’ouverture du XVIIe. Les désirs sont les mêmes et les espérances presque semblables. Ils se servent des réformés comme en d’autres siècles ils s’associaient aux Normands, et pourchassent les bons gouvernemens sous la minorité de Louis XIII, comme leurs pères arrachaient l’hérédité des fiefs à la faiblesse des successeurs de Charlemagne. Une différence capitale existe toutefois et suffit pour séparer les époques et révéler tout l’avenir : il n’est pas, au XVIIe siècle, un chef de mécontens qui ne se laisse volontiers désintéresser par une pension.

La cabale essaya de reprendre en sous-œuvre, au parlement de Paris, la tentative qui venait d’échouer près des états du royaume. Cette grande compagnie judiciaire, tumultueusement réunie par les