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princes presque toujours détournés du soin de leur grandeur politique par le souci brutal de leur fortune ; mais c’était là un expédient qui commençait à s’épuiser, une ressource dernière qui semblait devoir manquer bientôt à la royauté avilie. « Les présens que la reine fit aux grands, au commencement de sa régence, étourdirent bien la grosse faim de leur avarice et de leur ambition, mais elle ne fut pas pour cela éteinte. Il fallait toujours faire de même si on voulait les contenter. De continuer à leur faire des gratifications semblables à celles qu’ils avaient reçues, c’était chose impossible ; l’épargne et les coffres de la Bastille étaient épuisés, et quand on l’eût pu faire, encore n’eût-il pas été suffisant, d’autant que, les dons immenses qui leur avaient été faits les ayant élevés en plus de richesses et d’honneurs qu’ils n’eussent osé se promettre, ce qui du commencement eût été le comble de ce qu’ils pouvaient désirer leur semblait maintenant petit, et ils aspiraient à choses si grandes, que l’autorité royale ne pouvait souffrir qu’on leur donnât le surcroît de puissance qu’ils demandaient. Il ne se parlait plus que de se vendre au roi le plus chèrement que l’on pouvait, et ce n’était pas de merveille ; car si, à grand’peine, on peut, par tout moyen honnête, retenir la modestie et sincérité entre les hommes, comment le pourrait-on faire au milieu de l’émulation des vices, et la porte ayant été si publiquement ouverte aux corruptions, qu’il semblait qu’on fît le plus d’estime de ceux qui prostituaient leur fidélité à plus haut prix[1]. »

  1. Mémoires de Richelieu, liv. V, année 1614. — Nous citerons toujours cet ouvrage sous le titre que lui a justement restitué M. Petitot dans sa collection. La plus faible partie de ce grand travail, antérieurement publiée sous le titre d’Histoire de la mère et du fils, avait été, sans nul motif plausible, attribuée à Mézerai, quoique des esprits sagaces y eussent depuis long-temps reconnu la main du cardinal de Richelieu lui-même. L’authenticité de ces Mémoires, dont l’original existe au dépôt des affaires étrangères, n’est pas contestable ; l’existence en est indiquée dans l’épître au roi qui précède le Testament politique, et ce dernier écrit n’a été détaché du corps même de l’ouvrage, comme le constate M. de Foncemagne, l’éditeur, que par la crainte qu’éprouvait le cardinal de ne pas vivre assez longtemps pour employer les matériaux rassemblés sous ses yeux dans le but de composer une histoire générale de son ministère. Une grande partie des Mémoires, et plus particulièrement ce qui se rapporte à la carrière active de Richelieu lorsqu’il fut devenu chef du conseil, est écrit par des secrétaires sous l’œil du ministre, quelques morceaux émanés de lui-même sont évidemment intercalés. Mais, la partie qui traite de la jeunesse de Richelieu, du ministère du maréchal d’Ancre et de l’exil de Marie de Médicis à Blois ne peut être sortie que de la plume même du cardinal, qui parle toujours en son propre nom, et dont la personnalité s’y révèle à