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Quand la révolution eut besoin de s’épandre au dehors par la victoire, et de se régler au dedans par le pouvoir, elle s’incarna dans Napoléon ; après ce grand effort sur elle-même et sur le monde, elle entra dans un repos plus agité que fécond. En remontant le cours des âges, l’histoire est jalonnée par ces hommes qui portent au front le signe indélébile de l’œuvre sociale accomplie par eux. Charlemagne constitua la chrétienté par l’empire, sa plus haute expression humaine. Philippe-Auguste délimita la France, Duguesclin et Jeanne d’Arc en ont assis la nationalité par une lutte populaire avec l’étranger. Louis XI a fondé le système politique de la monarchie au sein de l’Europe moderne ; François Ier appliqua ce système avec plus d’héroïsme que d’intelligence ; Henri IV l’entrevit à travers les orages de son règne ; enfin Richelieu vint, qui le premier l’embrassa d’un coup d’œil net et ferme, et eut à la fois assez de sagacité pour le comprendre dans ses plus minutieux détails, assez de puissance pour le faire triompher jusque dans la génération qui l’a suivi.

L’œuvre de ce ministre embrasse en même temps la France et l’Europe, car il prépara l’une au traité de Westphalie, l’autre au règne de Louis XIV. En Europe, il substitua le mécanisme de l’équilibre à la grande unité qu’avait brisée la réforme, et, par l’habile balancement des intérêts, il parvint à combler en partie le vide immense que laisse au cœur des peuples l’idée du droit lorsqu’elle se retire. En France, il acheva l’aristocratie princière, comme la révolution de 80 en finit avec la noblesse de cour. Entre une féodalité renaissante sous des formes nouvelles, et le protestantisme passant à l’état de parti politique, il fit grandir la royauté, et rejeta violemment dans la monarchie absolue une société qui, jusqu’à lui, oscillait, tiraillée par les forces les plus contraires. Tandis que d’un côté la réforme, échauffée au souffle ardent de la Hollande et de Genève, essayait d’attirer vers le fédéralisme républicain la France affaiblie par ses dissensions ; pendant que, de l’autre, le cabinet espagnol s’efforçait de ranimer, sous l’influence de l’Escurial, les cendres à peine éteintes de la ligue, Richelieu entreprit d’élever, dans l’indépendance de sa force et l’originalité de son génie, l’édifice de la monarchie française au-dessus des bûchers de l’inquisition et de l’échafaud puritain qui se préparait déjà dans White-Hall.

Depuis le XVIe siècle, la France cessait d’être elle-même, et son caractère propre tendait à s’altérer dans son gouvernement comme dans ses mœurs. Dominée tour à tour par l’Italie et par l’Espagne,