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On ne peut se dissimuler que de la manière dont les finances de la Grèce étaient administrées, la garantie des trois puissances était singulièrement compromise. Il est vrai qu’ayant voulu créer un royaume, elles n’avaient pu se dispenser de lui prêter une dot pour s’établir, mais il était bien naturel qu’elles prissent leurs précautions pour pouvoir plus tard rentrer dans leurs fonds. Aussi, par l’article 6 du traité de 1832, il avait été stipulé que la Grèce appliquerait au paiement des intérêts et à l’amortissement de l’emprunt les premières recettes de l’état. Au lieu de cela, que fit le gouvernement grec ? Il paya l’intérêt d’une portion de l’emprunt avec une portion nouvelle de l’emprunt même, et arriva ainsi à une complète insolvabilité.

Et cependant, le nouveau royaume prospérait, ses ressources augmentaient, et ses recettes étaient en progrès. D’où provenait donc cette dilapidation qui le réduisait à de pareilles extrémités ? Des vices de l’administration, et des abus de l’invasion bavaroise. Le fils du roi de Bavière avait été choisi par les trois puissances protectrices, ou du moins par la France et l’Angleterre, pour deux raisons, d’abord, parce qu’il vivait sous un gouvernement constitutionnel, et qu’il devait être ainsi mieux préparé qu’un autre à l’exercice des institutions parlementaires, et, en second lieu, parce qu’il était très jeune, et devait avoir plus de facilités pour se façonner aux mœurs de sa nouvelle patrie que n’en aurait eu un prince déjà formé. Malheureusement, le roi Othon ne paraît avoir, jusqu’à présent, justifié ni l’une ni l’autre de ces espérances. D’un côté, la Grèce n’a pas été dotée des institutions libres qui lui avaient été solennellement promises ; de l’autre, le roi, ou du moins son gouvernement, ne s’est pas nationalisé, et il est resté bavarois au milieu de la Grèce. C’est cette transplantation d’une colonie allemande à Athènes qui a été la plaie du jeune royaume. Sauf les douze millions consacrés à l’indemnité turque, le reste de l’emprunt fut presque entièrement absorbé par le bagage germanique du roi Othon. Seize millions furent dépensés pour le transport, l’entretien, et le renvoi de l’armée bavaroise qui occupa le pays pendant quatre ans. La Grèce paya pour avoir des Allemands, elle paya encore pour ne plus en avoir. Ce n’est pas tout ; le roi Othon, se méprenant un peu sur la portée de son royaume nouveau-né, mit son petit ménage royal sur le pied d’une grande maison. Il importa à Athènes une administration toute faite, à compartimens, sur le modèle occidental, à peu près comme ces maisons à plusieurs étages, qui se démontent à volonté, et qu’on transporte maintenant dans les colonies. Il se donna une cour sur la proportion de celle des anciens empereurs byzantins, et des sommes énormes passèrent en traitemens de fonctionnaires inutiles. La bureaucratie, ce produit de la centralisation, s’abattit avec tous ses apanages sur un pays dont toute la vie administrative était dans les municipalités, et le papier timbré s’étendit comme un crêpe sur toute la surface du sol.

Ce fut ce défaut d’assimilation qui indisposa surtout les Grecs contre leur gouvernement. Depuis le moment où ils ont été constitués en peuple libre,