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déré. Il change son admirable hiérarchie, qui faisait sa force, contre l’organisation violente et tumultueuse des partis. Hélas ! le clergé se vantait d’avoir conquis l’esprit du siècle ; nous craignons bien plutôt que ce ne soit l’esprit du siècle qui ait conquis le clergé, et nous ne nous en félicitons pas, car, en faisant cette conquête, le siècle a perdu un des remèdes qui lui étaient préparés : le malade a donné son mal au médecin qui devait le guérir. Il y avait en effet, nous l’avons cru pendant dix ans, il y avait un corps en France, un corps autre que l’armée, qui gardait le secret de l’obéissance hiérarchique, secret perdu partout ailleurs. Le clergé avait le dépôt de la discipline morale, comme l’armée a celui de la discipline matérielle. Plaise à Dieu que le clergé n’ait pas encore dissipé ce dépôt sacré ! Plaise à Dieu qu’il puisse encore se retirer des piéges où il s’est venu prendre ! Voici des évêques qui se blâment et qui se désavouent ; voici un prêtre de la congrégation de Saint-Joseph qui se met à la tête de je ne sais quelle entreprise d’éducation sans avoir consulté son supérieur, et que son supérieur est forcé aussi de désavouer. Ce sont là des symptômes dangereux. L’orgueil individuel, l’esprit de secte ne peut tendre à se substituer au principe de la hiérarchie catholique. Il y a des gens qui appellent cela une régénération ; nous y voyons une métamorphose, et c’est le sort de toutes les métamorphoses de faire toujours perdre quelque chose au métamorphosé. Nous savons quel clergé nous avions ; nous craignons de savoir déjà quel clergé nous aurons quand il sera changé en un parti.

Il paraît que nos chambres ne seront convoquées que vers la fin de décembre. On commence cependant déjà à se demander quels pourront être les gros évènemens de la session, ce qu’elle produira pour les partis, pour le ministère, pour le pays. Des pronostics faits trois mois à l’avance sont, à vrai dire, une trop grande témérité. Le courage nous manque pour nous aventurer ainsi. À cette heure, la question de la liberté de l’enseignement est la seule question importante qu’on aperçoive surgir à notre horizon politique. Or, sur cette question, si le débat s’ouvrait dans ce moment, il y aurait une mêlée probablement bizarre, une confusion inextricable. En sera-t-il autrement dans trois ou quatre mois ? La réponse dépend, en partie du moins, du projet que M. le ministre de l’instruction publique élabore en ce moment. Sans doute, quoi qu’il propose, il ne donnera jamais pleine satisfaction à ces opinions extrêmes qui ne servent, dans tous les débats d’un gouvernement régulier, qu’à donner du relief aux opinions sensées et praticables ; mais il y aura beaucoup d’hommes, de toutes les nuances d’opinion, qui, dans une question si délicate et qui touche de si près à l’avenir de nos enfans, aux devoirs les plus sacrés du père de famille, oublieront complètement, et nous le disons à leur honneur, les querelles et les intérêts de parti, pour chercher de bonne foi la solution la plus propre à garantir les droits de l’état, et l’avenir moral et politique de la jeunesse française. C’est à ces hommes que s’adressera, nous en sommes certains, le projet de M. Villemain. Nous comp-