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pour les vendre au nom de la nation, et on ne lui a donné en échange que des subsides qui ne se paient pas. Cette situation honteuse ne peut pas durer ; il faut que, d’une manière ou de l’autre, le clergé ait des revenus qui lui permettent de vivre et d’entretenir le culte. Ou qu’on lui rende ce qui reste de ses biens, ou qu’on lui donne une dotation réelle sur le budget : il n’y a pas de milieu pour un gouvernement qui se respecte. Le clergé espagnol, tant séculier que régulier, avait beaucoup à expier, car il était pour sa bonne part dans les maux séculaires du pays. L’expiation a été cruelle ; il ne faut pas qu’elle se prolonge plus long-temps. La religion elle-même finirait par souffrir de la colère soulevée par ses ministres. À son tour, l’Espagne nouvelle a des torts, même des crimes, à se reprocher envers le clergé. Le moment de la réconciliation doit être venu, car de part et d’autre on a besoin de faire oublier.

Cette difficulté du revenu n’est pas la seule. Il n’y a plus, à proprement parler, d’église espagnole. Les rapports entre l’Espagne et Rome sont rompus. Les trois quarts des siéges épiscopaux sont vides. Parmi les évêques, les uns ont suivi don Carlos, les autres ont été déportés par le gouvernement hors de leurs siéges. Deux ou trois fois, on a essayé d’introduire en Espagne la constitution civile du clergé, mais l’esprit profondément catholique du pays y a répugné. Même dans les cortès élues sous l’administration d’Espartero, la loi proposée est restée sans discussion. Il est indispensable et urgent d’ouvrir des relations avec le saint-siége pour la négociation d’un concordat. Le pays lui-même le demande, car, dans les élections qui viennent d’avoir lieu, plusieurs prêtres éminens ont été nommés candidats au sénat, la constitution leur fermant l’entrée de la chambre des députés. Il n’est pas possible que le peuple le plus catholique de l’Europe reste long-temps dans cet état. Nulle part, dans les campagnes, le service du culte n’est assuré, et tout le royaume est comme frappé d’interdit.

Après le bombardement de Séville, le vénérable cardinal Cienfuegos, archevêque de cette ville, déporté à Alicante, a envoyé de son exil, au chapitre de sa cathédrale, sa croix d’or et son anneau pastoral, pour contribuer au soulagement des malheureux atteints par le bombardement. Cet envoi était accompagné d’une lettre touchante où le vieux prélat s’excusait sur sa pauvreté de ne pouvoir faire davantage. Toute l’Espagne s’en est émue, et il est bien à désirer que l’attendrissement général produit par cet incident conduise à quelques mesures efficaces.